28 février 2008

Confession d'une menteuse, II


En plus d’un an, Philippe, l’autre ne s’était jamais douté de rien, j’en suis certaine.

J’étais parvenue à réserver à mes mots l’enthousiasme qui me submergeait quand je pensais à toi, t’écrire apaisait mon cœur, et quand je retrouvais l’autre, je pouvais l’aimer sincèrement. Et puis, mon secret était mieux gardé qu’une citadelle. Je prenais bien garde de ne t’écrire que de chez moi, et même si l’autre avait voulu fouiller mon ordinateur, il n’aurait jamais trouvé les traces de ma duplicité, dissimulées au bout de sinueux chemins et protégées par d’improbables mots de passe. J’étais la seule à pouvoir ouvrir une brèche dans la forteresse, et c’est malheureusement ce que je fis, mon attention sans doute relâchée dans l’excitation où me plongeaient la saint Valentin et le jeu de Libé auquel j’avais fini par me prendre un peu trop.
J’avais eu la bêtise de faire du site de ce concours la page d’accueil de mon navigateur, si bien qu’à chaque fois que je me connectais, je pouvais rechercher mon annonce et lui voter des roses virtuelles. Lundi 11 février, l’autre passa chez moi à l’improviste et me proposa d’aller au cinéma. Sans réfléchir, je me connectai sur le Net pour vérifier l’horaire des prochaines séances, et je sentis mon cœur faire un grand bond dans ma poitrine en voyant la page rose si familière s’afficher.
L’autre
était debout derrière moi, il regardait l’écran d’un air étonné et je dis la première chose qui me passa par la tête. Quitter la page précipitamment aurait été encore plus suspect, et je m’enferrai dans un mensonge à la mesure de celui que je portais en moi depuis plus d’un an. Je prétendis que j’avais fait de ce site de déclarations d’amour ma page d’accueil parce que je ne pouvais m’empêcher d’espérer qu’il y déposerait un message pour moi, même si je savais tout le mal qu’il pensait de la saint Valentin.
Plus c’est gros, plus ça passe. Cela le fit beaucoup rire, il se moqua de moi, me surnomma même Valentine, mais il y crut. Et deux jours plus tard, il me parla de la surprise qu’il me réservait pour le soir du 14.

Ce fameux soir, je devais le rejoindre chez lui, à 19 heures. Avant de partir, je m’étais connectée mille fois sur le site de Libé, mais les résultats tardaient à tomber, et j’avais fini par quitter mon appartement sans les connaître. Quand j’arrivai chez lui, la première chose que je vis, ce fut son ordinateur. Allumé. Malgré tous mes efforts pour essayer de chasser la tentation, je ne pouvais penser qu’à ça. Une toute petite minute à l’abri de son regard et je pourrais savoir… Alors, quand il me dit qu’il allait prendre une douche avant que nous ne sortions, je ne pus résister. À peine avait-il refermé la porte de la salle de bains derrière lui que je me connectai fébrilement… et découvris que mon amour avait été retoqué. Il allait encore me falloir déployer des trésors d’ingéniosité pour trouver à t’atteindre.
La déception qui me gagna alors fut sans doute ce qui me conduisit à faire la chose la plus stupide du monde. Sans plus penser à rien, je recherchai la page de mon annonce, pour voir une dernière fois combien de roses y avaient été déposées. Si je n’avais gagné un voyage de rêve, au moins mes mots avaient-ils été lus et appréciés par d’autres.
3602 roses.
Je n’eus même pas le temps de m’en réjouir : sans que j’aie le temps de réagir, l’autre surgit à cet instant de la salle de bains, à moitié nu, les joues couvertes de mousse à raser. Il était sur le point de se raser, m’expliqua-t-il sans paraître mesurer mon trouble, quand il s’était soudain dit que j’avais peut-être envie, ce soir, qu’il garde cette barbe de trois jours dont je lui avais souvent dit combien je la trouvais sexy. J’étais tétanisée. Je le fixai, incapable d’articuler le moindre mot quand un simple « oui » aurait suffi à le faire regagner la salle de bains. Je ne pensais qu’à une chose, qu’il ne regarde pas l’écran, qu’il ne regarde pas l’écran.
Évidemment, ce fut ce qu’il finit par faire…



Federico Barocci, Madeleine, Londres, National Gallery, 1565.

24 février 2008

Confession d'une menteuse, I



Ne jamais avouer, proclamais-tu ce matin. Permets-moi de préférer l’aveu, Philippe, et de croire que faute avouée est à moitié pardonnée.

C’était le soir de la saint Valentin. J’avais passé la journée à espérer que les quelques mots déposés sur le site de Libé me vaudraient, grâce à la pugnacité de quelques fervents supporters, de remporter un voyage idyllique. Je l’espérais tout en le redoutant un peu, car si je l’emportais, me criait une petite voix que je m’efforçais d’ignorer, les ennuis commenceraient. Comment agir dans le secret, après cela ? Qu’importe, je voulais rêver, je voulais y croire, et lorsque j’appris que mes mots n’avaient pas été retenus, une immense déception m’envahit. Pas longtemps, car un autre dépit, bien plus grand, allait aussitôt la supplanter. Voici comment.
La veille, l’autre m’avait appelée pour m’annoncer qu’il me réservait une surprise jeudi soir. Il n’avait pas prononcé le mot saint Valentin, évidemment, mais pour des raisons que tu comprendras sans peine, cette date était gravée dans mon esprit. L’autre n’est pas homme à se plier à ce genre de célébrations que je l’ai toujours entendu qualifier de ridicules, et pourtant, il était bien en train de m’inviter pour la saint Valentin – fête dont il savait, tu vas le voir, qu’elle m’était chère. Alors, tout en me sentant vaguement coupable de jouer un double jeu, j’avais accepté, comme si cette preuve d’attention amoureuse, bien réelle, rattrapait les camouflets virtuels que tu m’infligeais. Puisque tu ne m’aimais pas, je pouvais bien m’amuser un peu, non ?
Et puis, quand j’étais avec l’autre, je ne pensais guère à toi. Ou je parvenais à ne pas y penser trop. J’avais l’étrange sentiment que ma vie, mon cœur, étaient scindés en deux parties bien étanches, et que je pouvais vous aimer tous les deux. Différemment. À lui la réalité, les étreintes, les mots chuchotés pendant l’amour, les dîners au champagne, la réalité, les balades en amoureux, Franprix le samedi après-midi, les vacances, la réalité, les disputes, les réconciliations. À toi, tout le reste. Le rêve. Les fantasmes. L’idéal. Et les dimanches matin.
En réalité, j’ai connu l’autre bien avant de tomber amoureuse de toi. D’une certaine manière, c’est même lui qui m’a poussée dans tes bras. L’autre et moi n’habitions pas ensemble. Lui l’aurait bien voulu, mais je n’avais jamais cédé à ce désir qui ne me convenait pas. Je préférais le retrouver au gré de nos envies, et conserver des moments qui n’appartenaient qu’à moi, ces moments où j’allais pouvoir t’aimer à ma guise, même si je l’ignorais au moment où tout a commencé. Nous ne vivions pas ensemble, mais il nous arrivait souvent de passer la nuit enlacés, chez l’un ou chez l’autre, et nous avions connu de nombreux dimanches matin à nous embrasser avant de nous empiffrer de croissants sous la couette, seuls au monde. Jusqu’à ce que tu nous y rejoignes.
Un dimanche que j’avais allumé la radio, nous sommes tombés sur toi, et tu nous as plu. Beaucoup. Je m’en souviens bien, c’était l’émission sur la randonnée. L’autre adorait crapahuter dans la montagne chargé d’un sac à dos rempli de pierres, quand il aurait fallu me payer pour poser le pied sur un GR, et l’émission nous tira des larmes de rire. Nous étions épatés par ton inventivité, nous n’en revenions pas d’entendre un tel ovni total foutraque sur les ondes de France Inter. Nous nous sommes pris au jeu. Après avoir goûté à la Panique, difficile de s’en passer, et petit à petit, tu es devenu notre rituel du dimanche matin. Après les câlins, le Mangin.
Le ver était dans le fruit. Les dimanches qu’il m’arrivait de passer seule, je t’écoutais religieusement, rêvant à toi sans me l’avouer encore, riant, t’aimant déjà. Les dimanches où nous t’écoutions ensemble, j’étais la plus assidue. Rien ne devait perturber la grand messe, et l’autre finit par s’en émouvoir. Un jour que je l’avais repoussé en riant, prétextant que ses baisers m’empêchaient de t’entendre, il s’était écrié que c’était dingue, cette passion que j’avais pour toi, à croire que tu l’aimes plus que moi. Cette phrase lancée par plaisanterie me retourna le cœur, ou le brisa en deux. C’était la vérité.
Oh, je savais bien que passés 15 ans, on ne s’amourache plus de ses idoles, mais voilà, je t’aimais. J’avais beau savoir qu’il y avait sans doute loin de toi au personnage que tu jouais chaque dimanche, que j’ignorais tout de l’homme que tu étais et que j’étais éblouie par quelqu'un qui n’existait sans doute pas, je t’aimais. J’aurais voulu tout savoir de toi, j’aimais tout de toi, tu étais celui que j’attendais, et même si c’était n’importe quoi, même si cela n’avait aucun sens, même si c’était vain, j’étais mordue. J’ai tenté de résister, j’ai tenté de me raisonner, je me suis même rapprochée de l’autre, j’ai essayé de l’aimer encore plus, je lui ai donné tout ce que je possédais d’amour, j’aurais voulu n’être qu’à lui, et oublier mes idées folles. En pure perte. La suite, tu la connais. Un soir de novembre, épuisée par cette lutte inégale et incapable de contenir mes fantasmes, je décidai de les assumer. Je pris la plume.
Curieusement, cela n’affecta pas ma relation à l’autre. Alors que j’aurais juré, avant cela, qu’il me serait impossible d’aimer deux hommes à la fois, qu’il me faudrait bien finir par choisir, je me découvris deux cœurs, et t’écrire comme je le faisais suffisait à les apaiser tous les deux. Je n’avais plus le sentiment de mentir à l’autre, je lui dissimulais la moitié de moi, c’est vrai, mais cette part cachée rendait l’autre plus forte, plus intense. La part qui était la sienne, il la possédait toute entière. Et en fait de choix, je compris que je pouvais choisir de vous aimer tous les deux.
Eusses-tu répondu à mes prières, les choses auraient sans doute été différentes, mais tu gardais le silence, et mes deux amours s’épanouissaient.
Jusqu’à cette funeste saint Valentin...


Georges de la Tour, Madeleine à la veilleuse, Los Angeles County Museum of Art, c. 1640.

22 février 2008

L'Autre



C'est terrible, Philippe.

Je ne trouve même pas les mots pour dire les tourments qui m'assaillent depuis quelques jours.
Ce que je redoutais par-dessus tout s'est produit, et m'a laissée exsangue.
Oh, j'imagine bien le sourire sarcastique que tu dois afficher en lisant ces lignes, persuadé que ton mépris et ton silence furent une fois encore à l'origine de ce tourment. Tu ne m'as pas souhaité ma fête : la belle affaire ! Penses-tu vraiment que je souffrirais mille morts si ce n'était que cela ?
Si seulement ce n'était que cela.
Mais non, il a fallu que le destin s'en mêle, et je ne sais même pas, pauvre de moi, par où commencer pour t'avouer l'inavouable. Pourtant, je ne peux plus continuer à vivre dans la duplicité. À te mentir. Même si je sais que mes mensonges sont impardonnables.

Oui, Philippe, je suis coupable. Coupable de t'aimer, et de te l'avoir dit, et répété, encore et encore. Coupable d'avoir pris la terre à témoin de cet amour qui me consume, coupable de t'avoir consacré mes mots, mes heures, mon énergie. Coupable de n'avoir pas su me lier les mains pour résister à la tentation de t'écrire quand j'ai compris que la situation était en train de m'échapper, et que ma vie s'en trouverait à jamais bouleversée.
Hélas, je n'ai pas eu cette force, et, folle que j'étais, je n'ai pas su retenir les mots qui allaient m'être fatals. Tous ces mots que l'autre me jeta au visage avec une violence qui me glaça d'autant plus que je me savais coupable.
Coupable de t'aimer et de ne pas le lui avoir avoué, à lui. À l'autre.
Car il y a un autre, Philippe.
Mais sans doute devrais-je dire, à présent qu'il a découvert mon forfait: il y avait un autre.


16 février 2008

Patatras



L'étau se resserre, ça chauffe, il est grand temps que j'aille me mettre au vert.
En espérant que le plus gros de l'orage sera passé quand je rentrerai.
Promis, des explications à mon retour.

Valentine

14 février 2008

Las, où est ce cœur vainqueur de toute adversité ?


Hélas ! Malgré les 3601 roses qui fleurirent mon message, les doctes de Libé ne voulurent pas cautionner mon amour pour toi, Philippe. Par excès de puritanisme ou de mollesse, sans doute. Peut-être furent-ils frappés de stupeur devant tant d'amour ? À moins que Bécasse Schneck, éminente membre du jury, n'ait frappé d'opprobre ces pages où elle avait été si souvent conspuée, par moi ou par d'autres.

Qu'importe.

Je trouverai bien d'autres moyens de te brûler aux flammes de ma passion. Quant au voyage, celui que tu nous as concocté est bien plus excitant que ceux que nous n'avons pas gagnés pour ma fête.

Merci en tout cas à tous ceux qui ont déposé ces douces roses, et sus aux membres du jury, ces débiles qui s'entraînaient sans doute pour la Panique au Mangin Palace de ce dimanche.

À toi pour toujours,


Valentine



Vue du Cimetière de Gênes, Italie.

06 février 2008

Valentine aime Philippe



Cher Philippe,

L'an passé, j'avais espéré que tu te manifesterais pour ma fête. Las, seul le silence m'avait célébrée, et de dépit, j'avais fini par élire d'autres Valentins, sans mesurer combien un tel affront pouvait t'être offensant.

Pardonne-moi.

Cette année, toi seul auras la faveur de mes vœux. Et pour que mes mots trouvent un écho à la mesure de l'amour que je te porte, je les ai confiés au journal qui fut naguère le témoin de notre passion.

Si d'aventure ils touchaient le cœur du jury, s'ils sortaient victorieux de l'amoureux concours, promets-moi, Philippe, d'en partager le prix.

À toi pour toujours,

Valentine


PS : Vous qui me lisez fidèlement, n'hésitez à attendrir le cœur du jury en votant ici à coup de roses virtuelles.



03 février 2008

Hal, as-tu du cœur ?

Cher Philippe,

Alors quoi, pas de fée des Lilas, aujourd'hui ? Nul parapluie de Cherbourg, point de cake d'amour ? Je te le concède, rien ne s'accorde moins à l'univers enchanteresse de Jacques Demy que le monde nébuleux des geek. Imaginerait-on Roméo s'exclamer derrière son écran, alors qu'un pop-up viendrait de lui annoncer que Juliette69 souhaite connaître ses détails :

Quelle est cette femme
Qui se cache derrière cet avatar ?
Oh, elle enseigne aux torches à briller clair !
Mon cœur a-t-il aimé, avant aujourd'hui ?
Jurez que non, mes yeux, puisque avant ce soir
Vous n'aviez jamais vu la vraie beauté.


Ridicule.

Elle aurait pu dormir longtemps, la belle au bois dormant, si au lieu de la réveiller d'un baiser, le prince charmant s'était contenté de lui envoyer un mail.

Amour et écran ne vont pas bien ensemble, c'est entendu. Pourtant, il me faut bien reconnaître tout ce que notre amour doit à la technologie moderne. Sans clavier pour t'écrire, aurais-je touché ton cœur ? Quelle fortune aurais-je dû dilapider pour te dire mon amour dans les pages de Libé, et pendant combien de temps ? Les aurais-tu seulement lues, ces annonces amoureuses ?
Dix ans plus tôt, cher Philippe, tu n'aurais pas su que je t'aimais et je me serais consumée de chagrin, rêvant de toi chaque nuit, sans aucun espoir de t'atteindre jamais.
Dix ans plus tôt, Valentine n'aurait jamais trouvé son Valentin.

À toi pour toujours,


Valentine


PS : mais que cela ne t'empêche pas de surveiller les pages de Libé, à l'approche de la saint Valentin...