Cher Philippe,
Un jour, on se réveille, rien n’a changé, la lumière d’été filtre comme tous les matins à travers les rideaux, les yeux encore pleins de sommeil ont une fois de plus un peu de mal à s’entrouvrir, tout est comme avant, ni plus, ni moins. Et pourtant, on sait que rien ne sera plus jamais pareil.
L’étincelle qu’on portait au fond du cœur est brisée.
Des centaines de jours, autant de nuits à ne penser qu’à toi, des milliers de mots pour te toucher, être à toi, un amour de tous les instants qui m’a coupé le souffle et transportée de ravissement, un émoi inconnu qui m’a fait vibrer avec une intensité insoupçonnable. Et puis on se réveille, et c’est fini. La vie reprend son bien, les contours sont peut-être un peu moins nets, les couleurs moins vives, les sensations moins aiguisées, mais enfin la vie palpite encore.
On a au cœur un grand trou, ça n’est pas douloureux, non, c’est seulement étrange, on s’était habitué à le sentir entier, on se demande ce qu’on va y mettre, on voudrait déjà le combler, de peur qu’il ne finisse par rétrécir. C’est de nouveau le temps de l’attente, il me faut réapprendre à vivre sans l’idée de toi, sans le soin de toi. À rêver de cet autre qui viendra, et à qui j’offrirai mes mots comme je te les ai offerts, et en attendant, me demander où vont aller tous ces mots dont je fourmille. Je trouverai bien, ne t’en fais pas. T’aimer si fort m’a rendu la parole, grâce à toi j’ai trouvé ce que je cherchais avec tant de fièvre :
les mots pour le dire.
Si j’étais d’humeur plus taquine, si je ne songeais pas en formant chacun de ces mots que ce sont les derniers que je t’adresse, si je n’étais pas envahie par la mélancolie des adieux, je pourrais te dire à la manière de Barzotti :
« Je ne t’écrirai plus, je n’en ai plus besoin.
Je ne t’écrirai plus, maintenant tout va bien.
Je ne t’écrirai plus, le calme est revenu,
la tempête a cessé, j’ai fini de t’aimer ».
Mais tant de poésie risquerait de me tirer une larme, et puis, surtout, je ne voudrais pas d’autres mots que les miens pour prendre congé de toi.
Merci, cher Philippe. Ces années à t’aimer ont rendu ma vie plus intense, plus vive, plus joyeuse, et je suis certaine que tous ceux qui aiment tant t’écouter pourraient en dire autant, l’amour en moins. À présent que je ne t’aime plus – mon Dieu, est-ce bien moi qui écris ? –, je ne t’assaillirai plus de mes lettres, tu n’entendras plus parler de moi. Mais tu resteras en moi comme un ami précieux, et je continuerai à me réveiller avec toi chaque dimanche, à savourer le plaisir de rire à tes bons mots.
Et alors, qui sait ? Peut-être t’arrivera-t-il, en direct du Mangin Palace, de songer que de l’autre côté du poste, perdue au milieu de milliers d’auditeurs, Valentine boit tes paroles avec ferveur. Et peut-être qu’à cet instant, tu auras pour elle une pensée particulière.
Peut-être que tu te rapelleras avec émotion que tu fus grâce à elle le plus aimé des hommes.
Valentine
Shakespeare, Hamlet, 1603 (Acte II, scène 2).
Photo Bernard Obadia