10 janvier 2008

Piqûre de rappel, III





Cher Philippe,


Il est peut-être temps de dire encore une fois l'histoire de notre amour, pour ceux qui la prendraient en cours de route, et qui risqueraient de se perdre en ses méandres.
Car que de chemins empruntés ici, ou d'autres seulement esquissés, depuis ce soir de novembre, où, épiloguant sur mes 33 ans, je pris la résolution qui allait changer ma vie : aller jusqu'au bout de l'amour que, dans le plus grand secret, j'éprouvais pour toi.

Ici, j'ai dit mes doutes, j'ai dit mes joies, j'ai dit mes peines, j'ai tout dit et je l'ai dit encore, du temps que je parlais dans le grand silence, et du temps que j'étais sûre que tu m'entendais.

Je t'aimais.

Quand la tentation de t'être infidèle m'assaillait, j'y résistais de toutes mes forces, je comptais mes divisions, je rassemblais mes troupes. Je refaisais l'histoire, je l'écrivais chaque soir, encore et encore, je m'en imprégnais, et je rêvais qu'elle fût vraie.
Quand la réalité et sa cohorte de fantômes et de doutes menaçaient de nous submerger et d'ensevelir mon bel amour, je trouvais l'antidote dans le rêve, où tu avais toujours la place d'honneur.
Et quand cela ne suffisait pas, j'invoquais les fées et les sortilèges, je provoquais les dieux, j'aurais tout sacrifié sur l'autel de mon amour.
Hélas ! Ton silence n'en était que plus cruel. Tu parlais aux uns et aux autres, tu t'épanchais partout, mais à moi, mais ici, tu ne disais rien.

Pourtant, dans l'obsession de mon amour, je tenais ce silence pour un signe.

Ce soin que tu mettais à éviter ces pages, ton acharnement à ne pas répondre à mon amour n'étaient-ils pas les signes évidents de ton entrée dans le jeu, de ta passion tout aussi flamboyante que la mienne ? Tu niais mon existence dans les interviews que tu donnais aux journaux, mais ne m'adressais-tu pas, dans les mêmes journaux, des messages à peine cryptés ?

Hélas, encore, ce jeu cruel ne semblait fait que pour entretenir ma psychose, et me laisser au désespoir de t'atteindre jamais. Tu te nourrissais de mon amour mais ne lui laissais aucune miette. Avais-tu donc si peur que je vole ton cœur que tu le gardais si jalousement ? Craignais-tu de perdre la tête, à ton tour, et de tourner sur toi-même en t'écriant :

Au voleur, au voleur, à l'assassin, au meurtrier. Justice, juste Ciel. Je suis perdu, je suis assassiné, on m'a coupé la gorge, on m'a dérobé mon cœur. Qui peut-ce être ? qu'est-il devenu ? où est-il ? où se cache-t-il ? que ferai-je pour le trouver ? où courir ? où ne pas courir ? n'est-il point là? n'est-il point ici ?
Arrête. Rends-moi mon cœur, coquine...
Hélas, mon pauvre cœur, mon pauvre cœur, mon cher ami, on m'a privé de toi.

Mais Philippe, ouvre les yeux ! Le voleur de cœur, c'était toi.
J'étais seule.
J'aimais et j'étais seule.
Mon vœu le plus cher n'était qu'une chimère, les roses ne trouveraient jamais le chemin de mon cœur, et les voix que j'aimais ne reviendraient jamais sur France Inter.

Je poursuivais du vent.

J'hésitais, un temps, à laisser Valentine s'éteindre en même temps que sa passion. Je laissais s'élever ma triste plainte :

Puisque tu m'es enlevé, j'ai perdu mon support, ma consolation, ma joie, tout est fini pour moi, et je n'ai plus que faire au monde. Sans toi, il m'est impossible de vivre. C'en est fait, je n'en puis plus, je me meurs, je suis morte, je suis enterrée.

Mais c'était impossible.

J'aimais bien trop t'aimer.

Alors je repris le chemin des rêves et de la douce folie qui berce mon amour, bien décidée à le rêver encore plus grand, encore plus intense. Plus fou. Comme au cinéma. Et j'espère que tu m'accompagneras longtemps sur ces sentiers en cinémascope, sinueux, c'est vrai, mais tellement grisants.

À toi pour toujours,


Valentine


Françoise Dorléac et Gene Kelly, Les Demoiselles de Rochefort (Jacques Demy, 1967).
BO du même film, version instrumentale.
Molière, L'Avare, IV, 7, 1668.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour Valentine,
Mais pour qui donc sont ces serpents qui glissent sur ces pages?

En tous cas, meilleurs voeux possibles dans le meilleur des mondes possibles pour 2008 et continuez de nous griser en rose encore longtemps.

Anonyme a dit…

Chère Valentine,

Tss tss tss, les parapluies de Cherbourg ce matin ne sauraient être anodins : tu as si souvent fait ici allusion aux films de J.Demy que j'y vois nécessairement le signe d'une amélioration météorologique dans ton ciel amoureux...