24 novembre 2007

Enchantement, III



Au matin du septième jour, ayant bien profité du plaisir d’avoir sauvé France Inter et d’avoir restauré la République, je décidai de formuler enfin mon dernier vœu, le premier dans l’ordre de mon cœur. Depuis une semaine que j’y pensais, que je le retournais dans ma tête et n’y trouvais, décidément, qu’une source de joie et d’émerveillement, j’étais prête.
Fébrile, je fermai les yeux et prononçai tout haut les mots qui devaient me conduire au bonheur. Puis je rouvris les yeux sur le monde, sûre qu’il avait changé.
Le contact des draps était toujours aussi doux contre ma peau. Le jasmin posé sur la commode ne me semblait pas plus fleuri, et les murs blancs ne brillaient pas d’un éclat qui aurait pu annoncer une apparition. Les rideaux, à la fenêtre, faisaient ressortir le bleu étincelant du ciel, mais nul visage aimé ne s’y affichait. Qu’avais-je donc cru ?
Sans réfléchir, j’allumai la radio, et ne fus accueillie que par une publicité idiote vantant les mérites d’une compagnie spécialisée dans le recouvrement des impayés. Hébétée, je l’éteignis aussitôt et me recroquevillai légèrement entre les draps. Pourquoi diable ne se passait-il rien ?
J’attendis, j’attendis encore.
Rien.
Puis une lueur me vint : s’il m’avait suffi d’allumer la radio pour apprendre que mes deux premiers vœux avaient été exaucés, aucun flash spécial ne pourrait, cette fois-ci, dire au monde ce que j’espérais tant. C’était ailleurs que tout se jouerait, loin de mon lit – du moins dans un premier temps. Forte de cette nouvelle certitude, je me levai et me précipitai sur mon ordinateur, soudain certaine qu’un commentaire m’attendait, qui me dirait que faire. Hélas. Nul commentaire, ni rien non plus sur mon téléphone, que j’éteignis et rallumai pourtant quatre fois de suite pour être sûre qu’il fonctionnait bien. De désespoir, j’ouvris avec fracas les fenêtres et les portes mais ne trouvai personne qui s’y serait caché à m’attendre. J’étais seule.
Deux heures plus tard, je l’étais toujours, et mon portable aurait dû fondre sous le coup des vérifications incessantes et compulsives que je lui avais infligées en vain. Folle de chagrin, je me jetai sur mon canapé en pleurant toutes les larmes de mon corps. Qu’avais-je fait pour mériter pareille cruauté ? Maudissant la bonne fée qui s’était changée en sorcière, le visage baigné de larmes amères, je finis par sombrer dans un demi-sommeil hanté de mauvais rêves.
Ce fut la sensation d’une caresse sur ma cheville qui m’en tira. D’abord, je ne voulus pas y croire, encore toute à mon rêve agité. Mais c’était bien une main douce, chaude et assurée qui effleurait ma peau et remontait lentement le long de ma jambe nue, faisant naître en moi de délicieux frissons. Je résistai à la tentation d’ouvrir les yeux, de peur que le charme ne se rompe, et m’abandonnai entièrement à l’exquise torture à laquelle me soumettait cette main inconnue. Je savais qui se cachait derrière elle. Un seul homme sur la terre était capable de me faire ainsi vibrer, d’embraser mes sens d’une seule caresse, de me conduire aux portes du plaisir rien qu’en soufflant sur ma peau nue pour attiser le feu qui me consumait. Quand la main s’amusa à frôler le repli secret de mon genou, là où la peau était si sensible, puis glissa un peu plus haut sur ma cuisse, s’immisçant doucement sous ma jupe, une onde de chaleur s’insinua en moi, remontant comme une flamme jusqu’à mon sexe brûlant de désir. Si la main s’aventurait plus haut, j’allais défaillir. Si elle s’arrêtait là, j’allais devenir folle…
Ce fut à cet instant que je me réveillai, haletante.
Ce n’était qu’un rêve.
Pourtant, malgré le trouble dans lequel il m’avait précipitée, j’eus très vite le sentiment qu’il n’était pas survenu par hasard. Ce rêve me disait d’aller au bout de mon désir, d’aller trouver ces mains qui m’enflammeraient. Et soudain, comme par miracle, je sus où je trouverai le doux objet de mes vœux.
Une heure plus tard, je sirotais une coupe de champagne au bar de l’Hôtel du Louvre, ignorant le regard lourd de désir des hommes qui m’entouraient. Je n’aurais d’yeux que pour Lui, et je savais qu’Il viendrait. Une heure passa, puis deux. Enfin, quand le serveur vint me demander si je désirais une troisième coupe, je dus me rendre à l’évidence. Dissimulant à grand peine ma déception, je déclinai sa proposition et repris tristement le chemin de ma maison. J’étais si sûre, pourtant, qu’Il viendrait…
Chez moi, nul message ne m’attendait, et je me laissai tomber avec un grand soupir sur le canapé où j’avais si bien rêvé. Sans y penser, j’allumai la radio et fus soudain frappée de stupeur en entendant la chanson qui y passait à cet instant précis :

Mon enfant,
Il vous faut oublier à présent ces fantasmes démoralisants
Et vous rencontrerez un charmant va-nu-pieds ou un prince mendiant
Mais, de grâce, oubliez cet hymen insensé !

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Moi qui attendais un signe, les paroles de la fée des Lilas me foudroyèrent le cœur. Et me laissèrent comme morte. Ainsi, mon vœu était si insensé que nulle magie ne saurait l’accomplir ? Mon amour si fou qu’il n’avait aucune chance sur la terre ?
Comment aurais-je pu vivre après cela ?
Mais avant de partir, j’allais Lui dire enfin le vrai de mon cœur, j’allais Le forcer à m’entendre, Lui qui fuyait depuis si longtemps. Assez des messages sans réponse, assez des billets lancés à la mer, assez du silence, assez ! J’allais faire ce que je m’étais toujours refusée à faire, j’allais Lui écrire directement, sans plus me dissimuler derrière des mots que d’autres que Lui pouvaient lire. Une lettre, qui ne s’adresserait qu’à Lui. Ensuite, seulement, je partirai.
Étrangement soulagée par cette décision, je me connectai à mon compte valentineaimephilippe@yahoo.fr, qui était resté désespérément désert depuis que je l’avais créé. Deux fois seulement, j’avais cru avoir reçu un message à cette adresse, et deux fois, mon cœur avait fait un bond dans ma poitrine, avant de se fendre en mille morceaux quand j’avais constaté qu’il ne s’agissait que de spams. De Lui, je n’avais jamais rien reçu, et cette adresse que je ne consultais plus allait au moins servir de tombeau à notre amour.
Je cliquai sur l’icône « Valentine » afin d’activer cette funeste messagerie, et soudain, le monde entier se mit à vaciller autour de moi.

J’avais un message.
Daté de la veille.

Paris est tout petit pour ceux qui s’aiment comme nous d’un aussi grand amour, annonçait l'en-tête, et, le cœur battant, je cliquai sur le message.

Lui : Je ne savais pas que tu m’aimais
Elle : En êtes-vous certain désormais ?
Lui : Il aura suffi d’un anneau d’or
Elle : Il aura fallu qu’on nous jette un sort
Eux : Mais qu’allons-nous faire

De tant de bonheur
Le montrer ou bien le taire?
Tous deux nous feront de notre vie
Ce que d’autres n’ont jamais su faire
Nos amours resteront légendaires
Et nous vivrons longtemps après la vie


Philippe.


FIN





Frederico Fellini, La Dolce Vita, 1960
Michel Legrand, "Conseils de la Fée des Lilas" et "Rêves secrets d'un prince et d'une princesse", Peau d'Âne, 1970

12 commentaires:

Anonyme a dit…

Alors que je m'apprêtais à raconter une blague idiote, désormais je frémis, j'ai peur, chère Valentine, de ce que ce message, clos par un "Fin" en majuscule, pourrait signifier. J'espère que, demain, un autre message me démontrera que toutes mes inquiétudes étaient... vaines ?

Anonyme a dit…

Première soirée
- elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
malinement, tout près, tout près.

Roman
Vous êtes amoureux. Loué jusqu'au mois d'août.-Vos sonnets La font rire.

Jeune ménage
la nuit, l'amie oh! la lune de miel
Cueillera leur sourire et remplira
De mille bandeaux de cuivre le ciel.

Anonyme a dit…

Réparation d'oubli : ces quelques vers sont bien sûr d'Arthur Rimbaud, un peu oublié, hélas, depuis que le gouvernement a décidé de rayer des programmes scolaires les matières inutiles (littérature, langues anciennes et autres balivernes non immédiatement rentables pour l'Entreprises). Arthur R qui mit brutalement fin à une oeuvre dans laquelle il s'était pourtant jeté à corps perdu pendant une aussi brève qu'intense période.
Pour lui, apparemment,pas de come-back possible. J'espère que ce ne sera pas le cas de Valentine.

Anonyme a dit…

Chère Valentine,

Je dois tout d'abord confesser que j'ai été enchanté, dans les commentaires de votre dernier billet - Enchantement 2e épisode - d'avoir un petit écho de vous à mon égard.

Oui, j'éprouve un plaisir grandissant à vous lire, de temps en temps, de plus en plus régulièrement même ; votre blog figure dans les "favoris" de mon navigateur - un célèbre renard, qui furète un peu partout.

Plaisir sinon légère vanité d'avoir été remarqué, plaisir tout personnel et certes un peu injuste puisque jusqu'à présent vous n'avez pas bénéficié des mêmes faveurs de la part de l'élu de votre coeur.

Je m'en trouve un peu coupable.

Vous m'avez averti : il pourrait bien y avoir quelque surprise dans le récit de votre troisième voeu !

Vous aviez forcément raison, et je me trouve bien stupide de ne l'avoir anticipé. Vous ne pouviez, c'est certain, vous fondre dans la simplicité - bien que vous le méritâtes.

Pourquoi ? Il n'y a pas d'intelligence heureuse ?

Non... c'est autre chose, autre chose de plus subtil, qui vous est plus personnel, quelque chose qui fait la grâce de votre plume.

Alors oui, votre troisième émerveillement est bien sibyllin !

Je frémis devant l'interprétation de mes confrères / consoeurs qui craignent la fin de votre journal.

Égoïstement, toujours, je me joins à eux. La fin de ce blog serait la fin d'un mouvement d'élégance, de grave légèreté, de bonheur pour nous qui vous lisons.

Dussiez-vous mettre un terme à votre quête - ce qui me semble improbable au vu du renouvellement récent de vos voeux, exprimés dans votre présentation -, il nous faudra bien nous réunir et fonder un blog "amoureuxdevalentine.fr".

Mais non : votre émerveillement reste trouble... on peut y lire quelque chose de plus ambigu, de plus trouble, d'heureux ou de malheureux - vous seule le savez.

Ne nous voilons pas la face : votre bonheur serait aussi néfaste que votre découragement, puisqu'il mettrait fin à notre plaisir blogophage.

Alors, alors...

Vous seule savez.

Nous verrons.

J'attendrai, comme tous vos lecteurs.

(à chanter sur l'air de Rina Ketty)

Bien à vous, quoi qu'il en soit.

PS : c'est, ce matin, la première fois depuis fort longtemps que je manque la "Panique au Mangin Palace". Ô rage, ô misère...
Dieu soit loué, il y a le "podcast". Cet épisode, encore inédit à mes oreilles, aura donc une place toute particulière dans mes archives - presque complètes - de cette délicieuse émission.

Anonyme a dit…

Chère Valentine,

Philippe a tout fait pour te retenir lui aussi : une émission sur la "chambre à coucher" ! et l'allusion à ces "plaisirs dissimulés sous de fines métaphores" (je ne me rappelle plus la formulation exacte, mais c'était quelque chose qui y ressemblait...)

Anonyme a dit…

Valentine,

Je ne saurai trouver de mots assez forts pour te dire que même si je ne t'écris plus aussi régulièrement, tes récits pleins d'humour et de poésie st une touche à ma vie que nul/le autre ne saurait remplacer.

Avoir rdv avec Phil les dimanches matins c aussi une manière d'avoir rdv avec vous, avec toi. Être sûre que c'est à toi qu'il pense qd il parle de cette douce femme allongée ds son lit pleine de rêves amoureux.. et pas que...

Si son regard se porte haut et semble ne pas effleurer tes pages enamourées, ms non que dis-je enflammées! pour moi Pc n'aura plus la même saveur. Je n'aurai plus le même bonheur ni la même assiduité les dimanches. Ta présence m'imposait d'être fidèle, à ton image ; le devoir de se tenir à la page, pour ensuite te rendre visite et partager quelques idées marrantes.

Des instants qui, certes, n'intéressent apparemment que nous ; ms tout de même en communion avec Philippe.

À qd la Panique en publique? Bref si ce dernier chapitre devait vraiment signer la fin de ton récit amoureux. Dis-nous au moins où nous pouvons avoir le plaisir de te lire tjrs et encore et pour les sièc... et oui la panique c le dimanche à l'heure de la messe!

C marrant comme il n'y a pas si lgpts je pensais qu'effectivement nous étions comme une petite communauté branchée sur la même "longueur d'ondes". Pdt la semaine précédent le 19 novembre, j'avais eu ce flash : on nous fait vraiment bouffer du sarko à la louche! à tel point qu'une nouvelle espèce humaine est en train de se développer sous nos yeux sans même que nous en soyons conscients : une espèce qu'on appellerait "les sarkophages" : se nourrir de son esprit, de son corps!!, et puis mourir! et oui dble sens de sarkophage oblige... et juste quelques jours plus tard tu nous pondais ton texte avec ce doux mot justement! bouffeurs de sarko! ton récit du 19 nov. Nous étions passées par la même émission?, la même chronique?

Bref, ma très chère Valentine, ne nous laisse pas là, tu verras qu'un beau matin il n'y aura pas que moi assis parterre comme ça. À attendre, fatiguée, que PC daigne se manifester!!!!

Confronter ses rêves à la réalité...hum... et si pour une fois on faisait l'inverse? Plier la réalité à ses rêves?!

Dis quand reviendras-tu, au moins le sais-tu
Ah.. si on pouvait insérer de la musique…
Résiste… Prouve que tu existes
Ah.. si on connaissait la chanson…

Val, pour Valérie ;-)

Valentine a dit…

Chère Valérie,

Je suis heureuse de voir que tu t'es décidée à rompre ton silence, malgré tes vœux autrefois prononcés - sans doute l'aveu que je fis de n'avoir jamais reçu aucun message privé de mon amoureux t'encouragea-t-il dans ta décision ?
La mienne mûrit doucement... même si les doigts me brûlent d'écrire sur la chambre à coucher.
Peut-être devrais-je trouver un nouvel amoureux ?


Valentine

Anonyme a dit…

à l'attention de Valentine :
Quoi, un nouvel amoureux? Comment est-ce possible? Et nous alors? Et si on ne l'aime pas autant que Philippe?

à l'attention de P C :
Bon, Philippe, cette fois,l'heure est grave. Et c'est pas la peine de faire le mec genre "moi je ne lis jamais les blogs de mes admiratrices...". On sait très bien que tu lis ce blog : solitude, chambre à coucher, tout ça, autant de messages codés...Mais bon, là, il faut passer aux choses sérieuses, allez un petit effort. Imagine que V. te trouve un remplaçant sur France Culture, imagine qu'il nous plaise autant que toi (peu probable) ou alors que Jean-Marc Sylvestre dépasse une fois de trop les bornes (éminemment vraisemblable), tu te rends compte de tous les fidèles auditeurs que tu pourrais perdre? Bon, pour ma part, c'est un serment d'ivrogne. J'ai essayé plein de fois d'arrêter France-Inter, mais il suffit d'une voix et je replonge...mais bon il y a tous les autres, alors que diable, Philippe, fais un geste!

Anonyme a dit…

L’Enchantement (du moins déclaré tel) de Valentine, est semble-t-il synonyme de désenchantement pour ses lecteurs.
Sur la page d’accueil, un lien renvoie vers une journée sans … qui vous savez, tandis qu’ici les lecteurs se morfondent sur un blog sans ... sa créatrice.
Premier réflexe, devenu malheureusement classique : où est la pétition ? Que je la signe tout de suite.
Mais après … que faire ?
Valentine, vous êtes femme à aimer les challenges, votre blog en est le plus bel exemple. Vous comprendrez alors …
Que fait un lecteur lorsqu’il est en phase de sevrage forcé ? Il cherche l’auteur, la narratrice. Il émet des hypothèses, fait des recoupements … et enfin vous découvre … peut-être. Je préfère « découvre » à « démasque », car vous n’avez rien d’une coupable, même si le masque est l’emblème de PC.
Mais comment en avoir la confirmation, tout en préservant votre anonymat ? … Et si vous receviez un petit bouquet ? (par Interflora interposé, plusieurs centaines de kilomètres obligent)
Quand ? Eh bien la Saint Nicolas semble être une date que vous affectionnez.
Pourquoi ? Pour le challenge d’abord. Ensuite parce qu’un peu de galanterie purement gratuite ne peut pas faire de mal. Et enfin parce que la vie est trop courte pour se priver de quelques menues folies. « Se faire plaisir et renoncer à la justification permanente » avez-vous écrit un jour.
Rien de plus.
PS : je croise les doigts pour que vous ne soyez pas allergique aux fleurs.
Si d’aventure mon flaire m’a trahi, j’espère au moins faire la joie d’une parfaite inconnue portant votre prénom.

Valentine a dit…

Cher Christian,

Vous n'imaginez pas à quel point j'adorerais recevoir votre bouquet, mais je suis d'avance jalouse de l'inconnue qui en sera l'heureuse destinataire... Et si je ne me prénommais pas vraiment Valentine ?
Qu'importe, car l'idée était belle.
Pour le reste, ma retraite touche à sa fin, mes idées se précisent, ma décision s'affine...
D'ici là, surtout, surtout, ne lâchez rien ?

Valentine

Anonyme a dit…

Donnez moi le même !!!!
bidilove+

Anonyme a dit…

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