10 novembre 2008

Amoureuse de Philippe Collin



Le 6 novembre 2006, je suis tombée amoureuse de Philippe Collin.
Je lui ai alors dédié un temple amoureux,
qui commençait par ces mots :

Primo, je suis amoureuse de Philippe Collin ;
Secundo, j'ai 33 ans, or, contrairement à Alexandre, je n'ai pas encore conquis la moitié du bassin méditerranéen et soumis l'univers. Il est donc plus que temps que je fasse quelque chose ;
Tertio, l'hiver approche, et il est bon de se trouver de saines occupations pour meubler les longues soirées d'hiver (voire les lits toujours un peu plus froids en cette terrible saison).
En d'autres termes, je n'aurai désormais d'autre but que de séduire celui qui m'a séduite.
Aussi, j'en fais ici serment : énergie, argent, ruse, ruse féminine (variante de la précédente, en plus efficace), temps, doux babil, tout, absolument tout ce qui me constitue tendra vers la réalisation de mon destin.


ÉPOUSER PHILIPPE COLLIN

Et puis, un an et demi et 169 billets plus tard, j'ai écrit le dernier mot de notre amour, dont j'espère bien, comme dans la chanson,
qu'il restera légendaire.
Cette légende rosée commence ici.


Valentine


Antonello de Messine, Vierge de l'Annonciation, Palazzo Abatellis, Palerme, 1476-77.

30 juin 2008

"Words, words, words"


Cher Philippe,

Un jour, on se réveille, rien n’a changé, la lumière d’été filtre comme tous les matins à travers les rideaux, les yeux encore pleins de sommeil ont une fois de plus un peu de mal à s’entrouvrir, tout est comme avant, ni plus, ni moins. Et pourtant, on sait que rien ne sera plus jamais pareil.
L’étincelle qu’on portait au fond du cœur est brisée.
Des centaines de jours, autant de nuits à ne penser qu’à toi, des milliers de mots pour te toucher, être à toi, un amour de tous les instants qui m’a coupé le souffle et transportée de ravissement, un émoi inconnu qui m’a fait vibrer avec une intensité insoupçonnable. Et puis on se réveille, et c’est fini. La vie reprend son bien, les contours sont peut-être un peu moins nets, les couleurs moins vives, les sensations moins aiguisées, mais enfin la vie palpite encore.
On a au cœur un grand trou, ça n’est pas douloureux, non, c’est seulement étrange, on s’était habitué à le sentir entier, on se demande ce qu’on va y mettre, on voudrait déjà le combler, de peur qu’il ne finisse par rétrécir. C’est de nouveau le temps de l’attente, il me faut réapprendre à vivre sans l’idée de toi, sans le soin de toi. À rêver de cet autre qui viendra, et à qui j’offrirai mes mots comme je te les ai offerts, et en attendant, me demander où vont aller tous ces mots dont je fourmille. Je trouverai bien, ne t’en fais pas. T’aimer si fort m’a rendu la parole, grâce à toi j’ai trouvé ce que je cherchais avec tant de fièvre : les mots pour le dire.
Si j’étais d’humeur plus taquine, si je ne songeais pas en formant chacun de ces mots que ce sont les derniers que je t’adresse, si je n’étais pas envahie par la mélancolie des adieux, je pourrais te dire à la manière de Barzotti :

« Je ne t’écrirai plus, je n’en ai plus besoin.
Je ne t’écrirai plus, maintenant tout va bien.
Je ne t’écrirai plus, le calme est revenu,
la tempête a cessé, j’ai fini de t’aimer ».

Mais tant de poésie risquerait de me tirer une larme, et puis, surtout, je ne voudrais pas d’autres mots que les miens pour prendre congé de toi.
Merci, cher Philippe. Ces années à t’aimer ont rendu ma vie plus intense, plus vive, plus joyeuse, et je suis certaine que tous ceux qui aiment tant t’écouter pourraient en dire autant, l’amour en moins. À présent que je ne t’aime plus – mon Dieu, est-ce bien moi qui écris ? –, je ne t’assaillirai plus de mes lettres, tu n’entendras plus parler de moi. Mais tu resteras en moi comme un ami précieux, et je continuerai à me réveiller avec toi chaque dimanche, à savourer le plaisir de rire à tes bons mots.
Et alors, qui sait ? Peut-être t’arrivera-t-il, en direct du Mangin Palace, de songer que de l’autre côté du poste, perdue au milieu de milliers d’auditeurs, Valentine boit tes paroles avec ferveur. Et peut-être qu’à cet instant, tu auras pour elle une pensée particulière.

Peut-être que tu te rapelleras avec émotion que tu fus grâce à elle le plus aimé des hommes.


Valentine


Shakespeare, Hamlet, 1603 (Acte II, scène 2).
Photo Bernard Obadia

29 juin 2008

Untitled



"Et ce fut tout."


Flaubert, L'Éducation sentimentale, 1869.
Léonard de Vinci, Léda, vers 1503.

Un peu, beaucoup, pas du tout ?



Yannis de plus en plus maculé de peinture au cours de la séance, sur la salopette vert bronze qu’il est monté mettre dès que j’ai sonné à la porte, me torturant, me soûlant pour que je tienne le coup, me demandant encore un peu de temps, brossant trois ou quatre portraits par jour puis les salopant à terre en les aspergeant d’un acide qui les ronge et me défigure, me priant de retirer mon chapeau, et moi me sentant encore plus nu, disant : Ce ne sera pas la peine d’attaquer les nus, on les a déjà faits. Et lui : Je t’ai pris ton âme. C’était un amour d’une tension extraordinaire qui passait entre ces deux regards, de celui qui fixait en peignant, et de celui qui fixait en étant peint. C’était une activité physique qui aurait rendu dérisoire l’activité érotique, qu’elle comprenait sans l’exprimer il va sans dire. Mais la même chose aurait pu être racontée tout à fait autrement, elle aurait pu prendre dix pages tout autant que quelques lignes lumineuses qui auraient tout raconté mais que je n’ai pas trouvées. C’est le hasard et le désespoir de l’écriture qui ont figé ainsi cet épisode, jusqu’à ce que je le déchire et le recommence, à jamais, toujours le même, jusqu’à la folie, jusqu’au silence.



...

Hervé Guibert, L'homme au chapeau rouge, Gallimard, 1992.
Hervé Guibert, Autoportrait.

28 juin 2008

Silence ?


Tour à tour tristes et exaltés, soulagés et déchiquetés, ils s’observent en silence, hésitent entre effusion et distance, entre parler ou bien se taire. Ils se tournent autour, sans trop savoir comment s’y prendre.
Elle se lève et prépare deux thés, sort du frigo la bouteille de lait. Gestes empreints d’habitude, son corps connaît les emplacements et les distances entre chaque chose.
Éric la regarde se déplacer, il a les bras croisés. Depuis qu’elle est revenue, ils ne se sont pas touchés.
Elle évite son regard, puis affirme :

— Fais pas cette tête. Comme si t’étais responsable de quelque chose. Personne ne peut vivre avec moi. Déjà pour moi, je vais te dire, c’est pas facile de me supporter… Je ne peux pas me quitter moi-même. Moi aussi, si je pouvais, je me sauverais en courant.
— Je fais aucune tête spéciale. Je suis juste fatigué. Dure journée. Et ne sois donc pas si prétentieuse. Je vais me coucher.
Il se lève, la laisse toute seule dans la cuisine. A voix haute, pour personne, elle prévient :
— Je vais prendre une douche.
Puis se gratte la tête et à mi-voix, commente : pourquoi tu me traites de prétentieuse ?

...


Virginie Despentes, Bye-bye Blondie, Grasset, 2004.
Sophie Calle,
Douleur exquise, Exposition "M'as-tu vue", Beaubourg, 2004.

27 juin 2008

Double jeu ?


J’arrive à l’aéroport débordant de haine et, juste après le décollage, je te dis quelque chose d’affreux dont j’ai honte encore aujourd’hui. Tu sais ce qui va se passer ? Tu veux que je te raconte ? On va faire ce qu’on a dit. Nager, paresser au soleil, fumer des joints. Ce sera bien. Je serai charmant, tendre, attentionné, je te ferai l’amour, je te dirai que je t’aime, mais je te préviens : ce sera un mensonge. Je vais passer deux semaines à te mentir, alors que la vérité ce sont les choses atroces que je t’ai dites. C’est ça que je pense de toi et c’est pour ça qu’au retour je te chasserai. Tu as bien entendu ? Dans cinq minutes, je te dirai le contraire, je te supplierai de ne pas croire ce que je viens de dire, mais il faut que tu saches qu’alors je te mentirai. Compris ? Tu fermes les yeux, tu restes un moment sans pouvoir respirer, je vois ton ventre secoué de spasmes. Au bout d’une demi-heure de silence, je prends ta main et te demande pardon.

...


Emmanuel Carrère, Un roman russe, P.O.L., 2007.
Callot, Superbia.

26 juin 2008

A la folie ?


Véronique était en analyse, comme on dit ; aujourd’hui, je regrette de l’avoir rencontrée. Plus généralement, il n’y a rien à tirer des femmes en analyse. Une femme tombée entre les mains des psychanalystes devient définitivement impropre à tout usage. […] Mesquinerie, égoïsme, sottise arrogante, absence complète de sens moral, incapacité chronique d’aimer : voilà le portrait exhaustif d’une femme analysée. Véronique correspondait, il faut le dire, trait pour trait à cette description. Je l’ai aimée, autant qu’il était en mon pouvoir – ce qui représente beaucoup d’amour. Cet amour fut gaspillé en pure perte, je le sais maintenant : j’aurais mieux fait de me casser les deux bras.

...

Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte, Ed. Maurice Nadeau, 1994.
Egon Schiele, La jeune fille et la mort, Österreichische Galerie Belvedere, Vienne, 1915

25 juin 2008

Regrets ?


Je regrette rarement d’avoir agi, et systématiquement de ne pas l’avoir fait. Je repense à la douleur des histoires qui n’eurent pas lieu. L’autoroute m’ennuie, il n’y a pas de vie sur les bords. Sur l’autoroute, les bords sont trop loin pour que mon imagination leur donne vie. Je ne vois pas ce qui me manque. J’ai moins envie de changer les choses que la perception que j’en ai. J’aime les rencontres de voyage : brèves et sans conséquences, elles ont l’enthousiasme des commencements, et la tristesse des séparations.


Edouard Levé, Autoportrait, P.O.L, 2005.
Photo Laurent Freyss

24 juin 2008

Fin de non recevoir ?


"Mon ami, je t’approuve entièrement de ne pas chercher à prolonger outre mesure ton séjour au Havre et le temps de notre premier revoir. Qu’aurions-nous à nous dire que nous ne nous soyons déjà écrit ?
C’est chez la tante Plantier qu’eut lieu notre première rencontre. […] Pour moi, craignant de ne plus parfaitement la reconnaître, j’osais à peine la regarder. Ce qui nous décontenança plutôt, c’était ce rôle absurde de fiancés qu’on nous contraignit d’assumer, cet empressement de chacun à nous laisser seuls, à se retirer devant nous.[…] Il faisait chaud pour la saison. La partie de la côte où nous marchions était exposée au soleil et sans charme, les arbres dépouillés ne nous étaient d’aucun abri. De mon front que barrait la migraine je n’extrayais pas une idée ; par contenance, ou parce que ce geste pouvait tenir lieu de paroles, j’avais pris, tout en marchant, la main qu’Alissa m’abandonnait. L’émotion, l’essoufflement de la marche et le malaise de notre silence nous chassaient le sang au visage ; j’entendais battre mes tempes ; Alissa était déplaisamment colorée ; et bientôt la gêne de sentir accrochées l’une à l’autre nos mains moites nous les fit laisser se déprendre et retomber chacune tristement. "

...


André Gide, La porte étroite, Gallimard, 1909.
Rome, Cimetière protestant.

23 juin 2008

Non sens ?


Jadis ayant souvent pensé avec terreur qu’un jour
il cesserait d’être épris d’Odette,
il s’était promis d’être vigilant et,
dès qu’il sentirait que son amour commencerait à le quitter,
de s’accrocher à lui, de le retenir.
Mais voici qu’à l’affaiblissement de son amour
correspondait simultanément
un affaiblissement du désir
de rester amoureux.



...


Proust, Un amour de Swann.
Boticelli, Mars et Venus, Londres, National Gallery, 1483.


01 juin 2008

La fumée du bruit


Il paraîtrait que je serais tombée amoureuse de toi.
Il paraîtrait que je l'aurais souvent écrit sur ces pages.
Il paraîtrait que j'aurais voulu t'épouser.
Il paraîtrait que mon cœur serait en train de s'assécher.


Qu'est-ce qui est vrai, qu'est-ce qui ne l'est pas ?




Valentine


"La rumeur est la fumée du bruit", Victor Hugo.

19 mai 2008

Qui trop embrasse....

Cher Philippe,


Te souviens-tu que j'annonçais, antan, que je mettrais toute mon énergie au service d'une seule cause, te séduire, et que je ne reculerais devant rien pour ce faire ? Eh bien, reçois ici la preuve étonnante que je ne mentais pas :
Tu m'accorderas qu'il n'y a au monde aucune servante qui te serait plus dévouée que je ne le suis, n'est-ce pas ? De la même façon, depuis le temps que je te le répète, tu sais bien que je te défendrais corps et âme, que j'accéderais sans une plainte au moindre de tes vœux, dût-il me blesser. Tu as compris, enfin, que tu es le sel de ma vie. En d'autres termes, on pourrait dire que tu es ma coqueluche. Alors écoute ça : pour t'éprouver jusqu'au plus profond de ma chair, j'ai donc attrapé la coqueluche.

Quelle autre femme aurait poussé l'amour aussi loin ?


Je t'assure que c'est vrai. J'ai chopé cette étrange maladie que je croyais disparue, maladie connue surtout pour sa durée - on l'appelle aussi la maladie des 100 jours - sa fulgurance, et sa vitesse de propagation. En cela, elle nous rappellerait presque l'amour, non ?
On lui connaît les remèdes les plus farfelus - ainsi une balade en avion à plus de 3000 mètres la guérirait, ce que je sais bien être faux, puisque mon retour romain ne l'a en rien atteinte -, et les dangers les plus grands. Je ne résiste ainsi pas à te recopier le passage de Wikipédia qui a failli me porter le coup fatal tant il m'a fait rire (ce qui est une très mauvaise idée quand on a la coqueluche) :

"Les complications de la coqueluche sont rares depuis le recours à la vaccination. Néanmoins la coqueluche peut entraîner une otite moyenne, une pneumonie, une atélectasie, des convulsions, une encéphalopathie, un amaigrissement, des hernies, un décès, etc.…"


Rassure-toi, cher Philippe, je vais tout tenter pour éviter ces écueils qui n'ont pas l'air très sexy, et je te reviendrai entière, entendante, respirante, pensante, harmonieuse, vivante, etc.



À toi pour toujours,


Valentine


Hans Baldung Grien, Le Chevalier, la mort et la jeune fille, Paris, Musée du Louvre, vers 1500.



12 mai 2008

Vacances romaines



Cher Philippe,


Quinze jours loin de toi, quinze jours à imaginer que c'était à ton bras que je me mêlais au tumulte londonien, puis que je goûtais à la douceur de vivre à la romaine.
Rome t'irait si bien, mon amoureux : ronde, chaude, éclatante, vive. Je nous voyais déjà léchant la même glace en riant aux éclats, nous allonger dans l'herbe tendre de la Villa Borghèse, nous embrasser à la folie sur le pont Palatin et regarder passer le Tibre en nous souvenant que la joie vient toujours après la peine.
Nous serions allés entendre la Traviata dans une église magnificente, nous aurions mangé des oranges sur l'Aventin, nous serions tombés en admiration devant la Fornarina de Raphaël, et tu aurais compris, en le voyant, tout l'amour que j'ai pour ce tableau.
D'une seule main, nous aurions jeté une pluie de pièces dans la fontaine de Trevi, pour être sûrs de revenir dans la ville éternelle, nous serions allés admirer l'Extase de sainte Thérèse, et nous aurions trouvé que Monsieur Kaplan avait bien raison lorsqu'il disait que l'original est si sublime que nulle représentation ne saurait en donner la mesure.
Tu aurais admiré l'art des bottiers italiens, à nul autre pareil, et tu aurais insisté pour m'offrir cette magnifique paire de sandales italiennes qui me font le pied charmant et la jambe fine.
Tu te serais ému des regards appuyés dont m'auraient couverte nombre de Romains, et tu aurais fini par prendre ombrage des œillades enflammées qu'ils n'auraient cessé de m'envoyer, et je n'aurais réussi à apaiser ta jalousie qu'en baisant tes lèvres, avant de te murmurer à l'oreille que ces hommages latins, loin de te mettre en rage, devraient bien te flatter.
Radouci, gagné par ma flamme, tu m'aurais serrée contre ton cœur, et tandis que le soleil serait doucement tombé sur le Trastevere, tu m'aurais chanté les vers de l'amoureux poète :

Benedetto sia 'l giorno, e 'l mese, e l'anno,
e la stagione, e 'l tempo, e l'ora, e 'l punto,
e 'l bel paese, e 'l loco ov' io fui giunto
da' duo begli occhi, che legato m'hanno;

e benedetto il primo dolce affanno
ch'i' ebbi ad esser con Amor congiunto,
e l'arco, e le saette ond'i' fui punto,
e le piaghe che 'n fin al cor mi vanno.

Benedetto le voci tante ch'io
chiamando il nome de mia donna ho sparte,
e i sospiri, e le lagrime, e l' desio;

e benedetto sian tutte le carte
ov'io fama l'acquisto, e l' pensier mio,
ch'è sol di lei, si ch' altra non v' ha parte.

Pétrarque,
Canzoniere 61 (traduction ici)


À cet instant, Philippe, je serais tombée amoureuse de toi pour la seconde fois.


Las ! Tu n'étais point à mes côtés pour vivre ces merveilles.
Par bonheur, tu étais dans mon cœur, et ta voix m'accompagnait car, vois-tu, en revenant de Londres, j'avais pris soin de podcaster la Panique que j'avais manquée, et c'est dans l'avion qui me ramenait de Rome, hier, que j'ai découvert que tu pensais à moi, et que mon billet sur les jupes des filles t'avait peut-être inspiré une de tes émissions les mieux troussées...


À toi pour toujours,


Valentine



28 avril 2008

Les jupes des filles


Cher Philippe,

Hier matin, les jupes de la papesse Jeanne, sous lesquelles on eût été bien inspiré de vérifier qu'elle était un homme (ce qu'on n'aurait alors pu constater), ont moins retenu mon attention (que je t'ai néanmoins accordée, distraite autant que discrète) que le spectacle d'autres jupes, celles qui, virevoltantes, ont fleuri dans les rues samedi, provoquant un spectacle des plus réjouissants.
Tu n'étais pas au balcon ce week-end, et pour cause, puisque tu nous préparais samedi l'émission que tu nous offris dimanche, mais si tu avais mis le nez dehors, voici ce que tu aurais vu, et sans doute vécu : la folle journée des sens. Cette journée a lieu une seule fois dans l'année, plus ou moins tôt, selon les aléas que nous concoctent Jacques Kessler et Joël Collado, et cette année, elle a eu lieu samedi.

Ce jour-là, si tu étais sorti à l'aube, tu te serais rendu compte que loin de blanchir, la campagne fleurissait. Mille parfums auraient caressé tes narines, les oiseaux auraient chanté au-dessus de toi, et sous le soleil naissant qui laissait espérer une magnifique journée, tu te serais senti très bien, mieux que ça même : quelque chose en toi t'aurait paru changé, une espérance que tu n'aurais pas su décrire, tu aurais eu le sentiment qu'une journée vraiment particulière commençait.
Tu ne te serais pas trompé : arpentant une rue, un boulevard, t'arrêtant sur une place, à la terrasse d'un café ou cherchant l'herbe tendre d'un square ou d'un jardin (in gramine molli...), partout tes yeux auraient découvert, sidérés, des femmes et des filles en fleur : jeunes, vieilles, jolies ou pas, toutes flottaient cheveux, seins et gambettes au vent. Et cela t'aurait rendu fou : tu aurais regardé chacune d'elles comme une apparition, tu les aurais désirées toutes, et la tête t'aurait tourné à force de ne savoir où jeter les yeux, et encore moins comment calmer le feu ardent qui te consumait.
Oh, bien sûr, tu as déjà vu des femmes et des filles, tous les hommes l'ont fait, mais la folle journée des sens a cela de particulier qu'elle survient après une longue période de jachère, à un moment où vous avez presque oublié les peaux douces cachées sous les doudounes et les bottes. Exactement au même moment, nous avons le sentiment de renaître à la vie : jetant aux orties nos bonnets et nos grosses écharpes, sous lesquelles nous nous sommes dissimulées pendant de longs mois d'hiver, nous nous lâchons, et la rue se transforme en un joyeux cortège de décolletés provocants et de cuisses avides de soleil. Cela vous rend fous, et cela nous réjouit - c'est d'ailleurs pour ça que nous le faisons. La folle journée s'étire ainsi de désirs en pulsions qui nous ramènent les uns et les autres à la vie, nous laissant croire que la machine est repartie.

Quel dommage que tu n'aies pas vu cela, Philippe, car il te faudra maintenant attendre un an avant que cela ne se reproduise. Car cet état de grâce ne dure pas : dès le lendemain, vous vous êtes habitués à ce généreux spectacle, et nous y prenons déjà moins de plaisir. Il règne une impression de déjà-vu qui blase un peu. Condition de l'homme : inconstance, ennui, inquiétude.
Bientôt, vous vous mettrez à regretter nos jambes bottées qui vous ont fait fantasmer tout l'hiver....

À toi pour toujours,


Valentine


23 avril 2008

Rêves de droite

Cher Philippe,

Tu manquais d'inspiration, dimanche, et aujourd'hui, c'est moi qui me sens quotidienne. Alors, plutôt que d'essayer de coller des bouts et des morceaux qui ne vont pas forcément bien ensemble, je préfère attirer ton attention sur l'une des rares voix réjouissantes du moment :





Ça fait du bien à lire, et ce n'est pas rien.
Ça fait penser, et c'est beaucoup.
Ça fait peur aussi, mais ça on le savait déjà.



Valentine


Mona Chollet a 34 ans, elle est journaliste au Monde Diplomatique et animatrice du site Périphéries.net


14 avril 2008

You're the first, the last, my everything


Cher Philippe,

Une émission entière pour chanter la first lady, la femme de, la nouvelle épouse, la jeune mariée... Est-ce une manière de célébrer celle qui a réussi son coup, elle ? Un clin d'œil à la détermination sans faille dont cette mante a fait preuve, sous son masque figé ? Je dis masque figé parce que je ne parviens pas à regarder une photo de notre première dame sans songer aux mortes amoureuses que les peintres ont si souvent esquissées, comme si elle était déjà morte, comme si la vie s'était enfuie d'elle une fois épuisés l'énergie, la ruse, le babil et le temps dépensés à tendre vers son but. Quel désir aura-t-elle, à présent, celle dont on devrait, paraît-il, être envieuses ?
Triste destin que de n'avoir plus qu'à mourir une fois le désir accompli... Et c'est peut-être cela, Philippe, qui me retient d'inventer des manières plus efficaces de forcer le chemin de ton cœur.

À toi pour toujours,


Valentine


Le Bernin, Extase de sainte Thérèse, Rome, 1644-1652

06 avril 2008

Le clinquant des mots



Cher Philippe,


Je t'écoutais ce matin dérouler le fil doré du mauvais goût, et je m'amusais bien. Où d'autre aurais-je pu entendre Bourdieu mêlé à un extrait de Podium ? Moi qui hier au soir dégustais un étonnant pain doré à la feuille d'or accompagné d'un somptueux champagne rosé - si ce n'est pas bling bling, ça -, j'avais presque l'impression que tu avais écrit cette émission en songeant à mon péché mignon si souvent évoqué en ces pages. Je me levai donc d'excellente humeur, et c'est sans doute pour cette raison que les mots que je découvris en commentaire de mon dernier billet, loin de m'affecter, me remplirent d'une grande joie. Les voici :

Pauvre fille, triste sort que le vôtre. Pauvre enfant destinée à finir noyée dans sa solitude et dans le flot de ses minables élans lyriques. Philippe ne sera jamais tien. Son coeur est définitivement quelque part où tu n'es pas et ne seras jamais.

Pas très clinquant, tout ça. Cinglant ? Même pas. Aigri et manifestement déplacé, sans aucun doute. Mon premier troll. Troll : personne courageusement anonyme qui préfère laisser des traces nauséabondes qui se voudraient assassines sur les pages des autres plutôt que de se fouler l'esprit à en créer elle-même. Alors voilà, cher troll : ton message m'enchante. Tant d'acrimonie et de fiel au service d'une si petite cause m'amuse presque encore plus que la Panique au Mangin Palace de ce matin. Arrimé au ras des mots, je crains fort que tu n'aies perdu le goût du jeu, si tu l'as jamais eu, évidemment. Alors sois rassuré : ma solitude et mon sort vont bien, ils te remercient.

Que ceux qui voudraient nous frapper d'alignement ravalent leurs aigreurs et rengainent leurs mots stériles : ils n'y parviendront jamais.


Valentine



Edouard Levé, Série Rugby, 2003.

02 avril 2008

Women


Cher Philippe,

Une fois n'est pas coutume, voici une vidéo qui me laisse sans voix, tant elle est incroyablement subtile. Magnifique. Evidente.
Elle méritait bien mieux qu'un petit lien en haut à droite. Dont acte.




J'espère que la balade t'a plu autant qu'elle me ravit.


Valentine


Women in art
, créé par l'énigmatique Eggman913.
Léonard de Vinci, La belle ferronnière, 1497, Paris, Musée du Louvre

30 mars 2008

Les Heures


Les heures s'étirent interminablement quand on voudrait qu'elles filent, les jours n'en finissent pas de couler au ralenti.

Tu me pardonneras mon silence, Philippe, le trouble des semaines passées avait tari mes mots. J'avais beau penser à toi, me retenir aux branches de mon rêve amoureux, la vie, comme étrange, s'était enfuie de moi. J'ai traîné mes jours, compté les heures de mes soirées et déprimé mes nuits. Je ne prenais à rien.
Mon insondable chagrin contaminait le peu qui aurait pu me faire reprendre appétit. Une Panique au Mangin Palace consacrée à la mort, et j'y voyais en creux l'image de mon triste destin. Tes pirouettes ne me tiraient plus de sourire. Même les résultats des élections ne parvinrent pas à me réveiller du morne engourdissement qui s'était abattu sur moi. Ma vie me semblait un vaste Vème arrondissement : une douleur qui rend vaines toutes les victoires. Et cette pluie qui semblait ne jamais vouloir s'arrêter, comme les larmes qui m'échappaient à chaque instant. Cet affreux hiver ne finirait-il donc jamais ?

Le temps qui ne passe pas m'était devenu insupportable. Aussi avais-je hâte de passer à l'heure d'été : en réglant mon horloge, hier au soir, j'ai songé que cette heure perdue serait une heure de peine en moins. Et puis une chose étrange s'est produite ce matin. Il était 11h06 à l'horloge du Mangin Palace quand j'ai ouvert les yeux. Je dormais, et soudain je me suis réveillée, d'un coup, sans passer par ces minutes terribles où la vie reprend son droit, et avec elle les sombres souvenirs que la nuit avait réussi à tenir à distance. Il était 11h06 et j'étais là. J'étais prête. Sans penser à rien d'autre, j'ai allumé la radio, et ta voix est venue jusqu'à moi, m'enveloppant d'une douce chaleur. Comme avant. Pour la première fois depuis longtemps, j'étais bien. Je savourais le plaisir de me blottir sous la couette en souriant de t'entendre. J'oubliais même de souffrir de la place vide à mon côté.
Tout à coup, mon lit n'était plus le théâtre désolant de ma solitude, le lieu qui chaque matin me rappelait ma folie et ma faiblesse. Il était redevenu à moi. L'intimité où je t'accueillais avec joie. Les minutes et les heures pouvaient se remettre à défiler, elles ne me pesaient plus. Comme si cette heure en moins de la nuit, cette heure qui n'existait pas, avait emporté avec elle tous mes tourments. Une tombe où j'aurais enfoui mon chagrin.
Sur ce fantôme d'heure, la vie m'est revenue.

Ce matin, il avait une jolie voix mon guide, qui me fit rêver de l'étang du Patriarche et du bal que Satan offrit à Marguerite dans l'un des plus beaux romans du monde.
Merci, cher Philippe, de m'avoir permis de retrouver la clef du festin ancien.


Valentine

15 mars 2008

Salon du livre : 1 - Valentine : 0


Cher Philippe,

Afin de me changer un peu les idées et sortir de la misérable brume qui s'est abattue sur ma vie depuis quelques temps, j'avais décidé aujourd'hui d'aller faire un tour au Salon du Livre, où je reprendrais peut-être goût au monde comme il va.
Grand mal m'en prit.
D'abord, il faut savoir que le Salon du Livre se tient à l'endroit le plus improbable et le plus inaccessible de la capitale, et qu'y parvenir est déjà toute une aventure, qui peut, les jours d'affluence, virer au cauchemar. Après ce qui me parut des heures à être bringueballée dans la touffeur du métro, et après avoir enfilé des kilomètres de couloirs dans l'espoir de trouver enfin la ligne 12, j'émergeai porte de Versailles, les pieds en sang dans mes bottes grises que j'avais eu la bêtise de chausser.
Là, une file interminable m'accueillit, et je dus patienter de longues et longues minutes sous ce qui commençait vraiment à ressembler à de la pluie, avant de me plier à un effeuillage en règle devant les vigiles intransigeants qui gardaient l'entrée du Temple. Quand il fut enfin démontré que mes bottes ne dissimulaient nul autre engin explosif que mes pieds moribonds, je fus autorisée à pénétrer dans le saint des saints. Las ! Moi qui m'attendais à un sanctuaire, où le Verbe aurait été célébré par de respectueux fidèles, je ne trouvai que des marchands du temple. Partout, ils fourmillaient, babillaient, gesticulaient et braillaient pour attirer le chaland, le tout dans une fournaise insupportable qui, à elle seule, signifiait sans ambiguïté le caractère infernal des lieux.
Accablée, je me frayai un douloureux chemin à travers les allées encombrées, cherchant en vain le stand que m'avait indiqué un ami qui devait s'y trouver pour une signature. Comme la climatisation, la signalétique devait être en berne, car il me fallut de nombreux tours et détours dans ce labyrinthe, où des Minotaures surgissaient au coin de chaque ruelle, avant de tomber enfin, et presque par hasard, sur le stand tant désiré. Mon soulagement fut de courte durée. La signature était finie depuis belle lurette, et de nouveaux auteurs que je ne connaissais pas avaient déjà pris place derrière les piles de livres. J'allais repartir, quand, par miracle, je vis l'ami pour lequel j'avais traversé tout Paris fendre la foule et venir vers moi avec un grand sourire. Nous restâmes un moment à discuter devant le stand, puis il m'abandonna quelques minutes pour aller me chercher un exemplaire de son livre.
Distraitement, je me mis à regarder autour de moi pour me donner une contenance, et une voix soudain me fit tendre l'oreille. Cette voix, je la connaissais. Je l'entendais souvent à la radio. Sur France Inter. Mais ce n'était pas la tienne. Je ne parvenais pas à y mettre un nom, pas encore, mais je savais une chose : j'aimais cette voix. Je n'avais jamais vu l'homme de la bouche duquel elle sortait, mais rien d'étonnant à cela : muet, tu me serais toi aussi méconnaissable. Par bonheur, cet inconnu qui n'en était pas vraiment un se tenait derrière une pile de livres, c'était donc un auteur, et il allait me suffire d'approcher de quelques pas pour lire son nom sur la couverture.
Ce que je fis. Mais oui, bien sûr ! Comment avais-je pu ne pas retrouver le nom de Guillaume Erner ? Aussitôt, mon imagination se mit à bouillonner. Il fallait que je lui adresse la parole, que je lui dise tout le bien que je pensais de lui, et le plaisir de tomber sur lui comme ça, sans l'avoir prévu, tel un petit miracle dans cette équipée jusque là apocalyptique. Et puis, Guillaume Erner, c'était France Inter, et France Inter, c'était toi... Imagine, Philippe, mon exaltation ! À cet instant, je ne regrettais plus du tout de ne pas avoir eu l'idée de chausser de vilaines mais confortables baskets: mes bottes me mettaient au supplice, mais elles étaient assez affriolantes pour me donner de l'assurance.
Il n'y avait donc plus qu'à.
Sauf que voilà. Mes jambes ne parvinrent pas à me porter pour combler le court espace qui nous séparait, ni mes mots à franchir le barrage de mes lèvres. J'étais tétanisée, paralysée par une pensée qui venait de glacer mon cerveau. Qu'allais-je bien pouvoir dire à cet homme ? Que je l'admirais ? Et après ? Ne savais-je pas bien ce qu'il en coûtait d'avouer son admiration à un homme dont la voix et l'esprit m'avaient séduite ?
Aussi suis-je repartie. Sans un mot.
Et peut-être est-ce là ce que j'aurais dû faire avec toi. T'aimer en silence.

Valentine.


Jan Davidz de Heem, Vanité aux livres, Musée des Beaux-Arts de Caen, 1628.

02 mars 2008

Confession d'une menteuse, III


Si j’avais eu la présence d’esprit de dire quelque chose, Philippe, n’importe quoi, pour éviter que l’autre ne regarde l’écran où s’affichait la preuve de mon amour pour toi, il ne se serait aperçu de rien, serait reparti dans la salle de bains, et tout aurait continué comme avant. Mais je ne pus dire un mot, et l’autre finit par regarder l’écran, pour y chercher sans doute la cause de mon émoi.
Il ne lut pas l’annonce, qui s’y affichait pourtant scandaleusement, mais il reconnut le site de Libé et il se mit à crier. J’étais encore en train de consulter ce site crétin ? Mais à quoi je rêvais ? Qu’est-ce que ça voulait dire, cette, insistance ? Ça ne me suffisait donc pas qu’il soit là, à m’aimer, en chair et en os, pour que j’aie besoin d’une annonce à la con ? Il s’énervait, je gardais le silence, c’était atroce, et moins je répondais, plus il s’énervait. Et soudain, il lâcha : à moins que tu n’attendes la déclaration d’un autre ! C’était dit, je crois, sans y penser, c’étaient de vraies paroles en l’air lancées sous le coup de la colère, mais à la manière dont je baissai les yeux, il sut. Alors, pris d’une rage comme je ne lui en avais jamais connue, il s’écria que ça suffisait comme ça ces conneries, et il éteignit l’ordinateur avant de repartir en grondant dans la salle de bains.
J’étais perdue. Impossible de rallumer son ordinateur pour effacer mes traces, je ne connaissais pas le mot de passe qu’il utilisait pour lancer le système. Et je savais qu’il irait traquer mon historique dès qu’il serait seul. C’était fini, j’allais être démasquée, ce n’était plus qu’une question d’heures. Quand il ressortit de la salle de bains, j’étais prostrée sur le canapé, attendant l’orage, mais il se contenta de me demander si j’étais prête. Prête pour quoi ? La bataille ? Quelle idiote ! Je l’avais blessé, j’allais devoir en payer le prix. Il avait décidé que nous sortirions pour la saint Valentin, nous allions donc sortir. À moins, bien sûr, que j’aie d’autres projets. Il avait ajouté cette dernière pique d’une voix mesurée, et je compris que je ne pourrais pas y échapper. J’allais boire la coupe de mon infamie jusqu’à la lie.
Ce fut encore pire que ce que j’avais imaginé. Dans le restaurant où il avait réservé une table, nous étions entourés d’authentiques amoureux, ou du moins, de couples qui voulaient se faire passer pour tels, et chaque regard autour de moi ne faisait qu’ajouter à ma peine. Tous ces gens qui s’aimaient, et lui qui me regardait comme si j’étais une étrangère. Il ne cria pas, il ne se mit pas en colère, il fit pire : il me cingla de son mépris. Je crois qu’il attendait que je lui avoue la vérité, que j’implore son pardon, mais qu’aurais-je pu dire ? Que j’en aimais un autre que je ne connaissais même pas, que les soirs de solitude, devant mon écran, j’imaginais des mots d’amour à envoyer dans le vide, que j’étais tombée amoureuse d’un autre et que pourtant je l’aimais toujours, lui ?
Le silence n’en finissait plus de s’étirer entre nous, odieux, je ne pouvais rien avaler des mets pourtant délicats qui nous furent servis, et à chaque passage, le serveur nous dévisageait comme s’il ne comprenait pas ce que nous faisions là, à ne pas fêter la fête des amoureux. De fait, c’était incompréhensible.
Au bout d’une heure, ou une heure et demi, je ne sais plus, tant cela me parut une éternité, l’autre finit par me libérer. Ou plutôt, il me planta là. Toujours sans un mot, il se leva, régla la note et partit sous les regards curieux des autres clients, qui reportèrent bientôt toute leur attention sur moi, pauvre petite chose humiliée un soir un de saint Valentin. Mais cela ne m’atteignait pas, non, parce que je savais que le pire était à venir. Je savais que d’un instant à l’autre, l’autre chercherait en ligne les preuves de mon forfait. Il chercherait la vérité. Et il la trouverait.

Cela fait quinze jours, à présent, que je n’ai plus entendu parler de lui. Son silence m’accable, et pourtant, tu vois, même dévastée, je pense encore à toi. Je continue à t’écrire, alors que je sais qu’il me lit. Je suis en train de me tirer une balle dans le pied, et pourtant je t’écris.
N’est-ce pas insensé ?


Valentine


PS : Reste-t-il de la place à Gros-Boule-les-Bains pour s’y réfugier un moment ?


Domenico Feti,
Madeleine pénitente, Galleria Doria-Pamphili, Rome, 1617-21.

28 février 2008

Confession d'une menteuse, II


En plus d’un an, Philippe, l’autre ne s’était jamais douté de rien, j’en suis certaine.

J’étais parvenue à réserver à mes mots l’enthousiasme qui me submergeait quand je pensais à toi, t’écrire apaisait mon cœur, et quand je retrouvais l’autre, je pouvais l’aimer sincèrement. Et puis, mon secret était mieux gardé qu’une citadelle. Je prenais bien garde de ne t’écrire que de chez moi, et même si l’autre avait voulu fouiller mon ordinateur, il n’aurait jamais trouvé les traces de ma duplicité, dissimulées au bout de sinueux chemins et protégées par d’improbables mots de passe. J’étais la seule à pouvoir ouvrir une brèche dans la forteresse, et c’est malheureusement ce que je fis, mon attention sans doute relâchée dans l’excitation où me plongeaient la saint Valentin et le jeu de Libé auquel j’avais fini par me prendre un peu trop.
J’avais eu la bêtise de faire du site de ce concours la page d’accueil de mon navigateur, si bien qu’à chaque fois que je me connectais, je pouvais rechercher mon annonce et lui voter des roses virtuelles. Lundi 11 février, l’autre passa chez moi à l’improviste et me proposa d’aller au cinéma. Sans réfléchir, je me connectai sur le Net pour vérifier l’horaire des prochaines séances, et je sentis mon cœur faire un grand bond dans ma poitrine en voyant la page rose si familière s’afficher.
L’autre
était debout derrière moi, il regardait l’écran d’un air étonné et je dis la première chose qui me passa par la tête. Quitter la page précipitamment aurait été encore plus suspect, et je m’enferrai dans un mensonge à la mesure de celui que je portais en moi depuis plus d’un an. Je prétendis que j’avais fait de ce site de déclarations d’amour ma page d’accueil parce que je ne pouvais m’empêcher d’espérer qu’il y déposerait un message pour moi, même si je savais tout le mal qu’il pensait de la saint Valentin.
Plus c’est gros, plus ça passe. Cela le fit beaucoup rire, il se moqua de moi, me surnomma même Valentine, mais il y crut. Et deux jours plus tard, il me parla de la surprise qu’il me réservait pour le soir du 14.

Ce fameux soir, je devais le rejoindre chez lui, à 19 heures. Avant de partir, je m’étais connectée mille fois sur le site de Libé, mais les résultats tardaient à tomber, et j’avais fini par quitter mon appartement sans les connaître. Quand j’arrivai chez lui, la première chose que je vis, ce fut son ordinateur. Allumé. Malgré tous mes efforts pour essayer de chasser la tentation, je ne pouvais penser qu’à ça. Une toute petite minute à l’abri de son regard et je pourrais savoir… Alors, quand il me dit qu’il allait prendre une douche avant que nous ne sortions, je ne pus résister. À peine avait-il refermé la porte de la salle de bains derrière lui que je me connectai fébrilement… et découvris que mon amour avait été retoqué. Il allait encore me falloir déployer des trésors d’ingéniosité pour trouver à t’atteindre.
La déception qui me gagna alors fut sans doute ce qui me conduisit à faire la chose la plus stupide du monde. Sans plus penser à rien, je recherchai la page de mon annonce, pour voir une dernière fois combien de roses y avaient été déposées. Si je n’avais gagné un voyage de rêve, au moins mes mots avaient-ils été lus et appréciés par d’autres.
3602 roses.
Je n’eus même pas le temps de m’en réjouir : sans que j’aie le temps de réagir, l’autre surgit à cet instant de la salle de bains, à moitié nu, les joues couvertes de mousse à raser. Il était sur le point de se raser, m’expliqua-t-il sans paraître mesurer mon trouble, quand il s’était soudain dit que j’avais peut-être envie, ce soir, qu’il garde cette barbe de trois jours dont je lui avais souvent dit combien je la trouvais sexy. J’étais tétanisée. Je le fixai, incapable d’articuler le moindre mot quand un simple « oui » aurait suffi à le faire regagner la salle de bains. Je ne pensais qu’à une chose, qu’il ne regarde pas l’écran, qu’il ne regarde pas l’écran.
Évidemment, ce fut ce qu’il finit par faire…



Federico Barocci, Madeleine, Londres, National Gallery, 1565.

24 février 2008

Confession d'une menteuse, I



Ne jamais avouer, proclamais-tu ce matin. Permets-moi de préférer l’aveu, Philippe, et de croire que faute avouée est à moitié pardonnée.

C’était le soir de la saint Valentin. J’avais passé la journée à espérer que les quelques mots déposés sur le site de Libé me vaudraient, grâce à la pugnacité de quelques fervents supporters, de remporter un voyage idyllique. Je l’espérais tout en le redoutant un peu, car si je l’emportais, me criait une petite voix que je m’efforçais d’ignorer, les ennuis commenceraient. Comment agir dans le secret, après cela ? Qu’importe, je voulais rêver, je voulais y croire, et lorsque j’appris que mes mots n’avaient pas été retenus, une immense déception m’envahit. Pas longtemps, car un autre dépit, bien plus grand, allait aussitôt la supplanter. Voici comment.
La veille, l’autre m’avait appelée pour m’annoncer qu’il me réservait une surprise jeudi soir. Il n’avait pas prononcé le mot saint Valentin, évidemment, mais pour des raisons que tu comprendras sans peine, cette date était gravée dans mon esprit. L’autre n’est pas homme à se plier à ce genre de célébrations que je l’ai toujours entendu qualifier de ridicules, et pourtant, il était bien en train de m’inviter pour la saint Valentin – fête dont il savait, tu vas le voir, qu’elle m’était chère. Alors, tout en me sentant vaguement coupable de jouer un double jeu, j’avais accepté, comme si cette preuve d’attention amoureuse, bien réelle, rattrapait les camouflets virtuels que tu m’infligeais. Puisque tu ne m’aimais pas, je pouvais bien m’amuser un peu, non ?
Et puis, quand j’étais avec l’autre, je ne pensais guère à toi. Ou je parvenais à ne pas y penser trop. J’avais l’étrange sentiment que ma vie, mon cœur, étaient scindés en deux parties bien étanches, et que je pouvais vous aimer tous les deux. Différemment. À lui la réalité, les étreintes, les mots chuchotés pendant l’amour, les dîners au champagne, la réalité, les balades en amoureux, Franprix le samedi après-midi, les vacances, la réalité, les disputes, les réconciliations. À toi, tout le reste. Le rêve. Les fantasmes. L’idéal. Et les dimanches matin.
En réalité, j’ai connu l’autre bien avant de tomber amoureuse de toi. D’une certaine manière, c’est même lui qui m’a poussée dans tes bras. L’autre et moi n’habitions pas ensemble. Lui l’aurait bien voulu, mais je n’avais jamais cédé à ce désir qui ne me convenait pas. Je préférais le retrouver au gré de nos envies, et conserver des moments qui n’appartenaient qu’à moi, ces moments où j’allais pouvoir t’aimer à ma guise, même si je l’ignorais au moment où tout a commencé. Nous ne vivions pas ensemble, mais il nous arrivait souvent de passer la nuit enlacés, chez l’un ou chez l’autre, et nous avions connu de nombreux dimanches matin à nous embrasser avant de nous empiffrer de croissants sous la couette, seuls au monde. Jusqu’à ce que tu nous y rejoignes.
Un dimanche que j’avais allumé la radio, nous sommes tombés sur toi, et tu nous as plu. Beaucoup. Je m’en souviens bien, c’était l’émission sur la randonnée. L’autre adorait crapahuter dans la montagne chargé d’un sac à dos rempli de pierres, quand il aurait fallu me payer pour poser le pied sur un GR, et l’émission nous tira des larmes de rire. Nous étions épatés par ton inventivité, nous n’en revenions pas d’entendre un tel ovni total foutraque sur les ondes de France Inter. Nous nous sommes pris au jeu. Après avoir goûté à la Panique, difficile de s’en passer, et petit à petit, tu es devenu notre rituel du dimanche matin. Après les câlins, le Mangin.
Le ver était dans le fruit. Les dimanches qu’il m’arrivait de passer seule, je t’écoutais religieusement, rêvant à toi sans me l’avouer encore, riant, t’aimant déjà. Les dimanches où nous t’écoutions ensemble, j’étais la plus assidue. Rien ne devait perturber la grand messe, et l’autre finit par s’en émouvoir. Un jour que je l’avais repoussé en riant, prétextant que ses baisers m’empêchaient de t’entendre, il s’était écrié que c’était dingue, cette passion que j’avais pour toi, à croire que tu l’aimes plus que moi. Cette phrase lancée par plaisanterie me retourna le cœur, ou le brisa en deux. C’était la vérité.
Oh, je savais bien que passés 15 ans, on ne s’amourache plus de ses idoles, mais voilà, je t’aimais. J’avais beau savoir qu’il y avait sans doute loin de toi au personnage que tu jouais chaque dimanche, que j’ignorais tout de l’homme que tu étais et que j’étais éblouie par quelqu'un qui n’existait sans doute pas, je t’aimais. J’aurais voulu tout savoir de toi, j’aimais tout de toi, tu étais celui que j’attendais, et même si c’était n’importe quoi, même si cela n’avait aucun sens, même si c’était vain, j’étais mordue. J’ai tenté de résister, j’ai tenté de me raisonner, je me suis même rapprochée de l’autre, j’ai essayé de l’aimer encore plus, je lui ai donné tout ce que je possédais d’amour, j’aurais voulu n’être qu’à lui, et oublier mes idées folles. En pure perte. La suite, tu la connais. Un soir de novembre, épuisée par cette lutte inégale et incapable de contenir mes fantasmes, je décidai de les assumer. Je pris la plume.
Curieusement, cela n’affecta pas ma relation à l’autre. Alors que j’aurais juré, avant cela, qu’il me serait impossible d’aimer deux hommes à la fois, qu’il me faudrait bien finir par choisir, je me découvris deux cœurs, et t’écrire comme je le faisais suffisait à les apaiser tous les deux. Je n’avais plus le sentiment de mentir à l’autre, je lui dissimulais la moitié de moi, c’est vrai, mais cette part cachée rendait l’autre plus forte, plus intense. La part qui était la sienne, il la possédait toute entière. Et en fait de choix, je compris que je pouvais choisir de vous aimer tous les deux.
Eusses-tu répondu à mes prières, les choses auraient sans doute été différentes, mais tu gardais le silence, et mes deux amours s’épanouissaient.
Jusqu’à cette funeste saint Valentin...


Georges de la Tour, Madeleine à la veilleuse, Los Angeles County Museum of Art, c. 1640.

22 février 2008

L'Autre



C'est terrible, Philippe.

Je ne trouve même pas les mots pour dire les tourments qui m'assaillent depuis quelques jours.
Ce que je redoutais par-dessus tout s'est produit, et m'a laissée exsangue.
Oh, j'imagine bien le sourire sarcastique que tu dois afficher en lisant ces lignes, persuadé que ton mépris et ton silence furent une fois encore à l'origine de ce tourment. Tu ne m'as pas souhaité ma fête : la belle affaire ! Penses-tu vraiment que je souffrirais mille morts si ce n'était que cela ?
Si seulement ce n'était que cela.
Mais non, il a fallu que le destin s'en mêle, et je ne sais même pas, pauvre de moi, par où commencer pour t'avouer l'inavouable. Pourtant, je ne peux plus continuer à vivre dans la duplicité. À te mentir. Même si je sais que mes mensonges sont impardonnables.

Oui, Philippe, je suis coupable. Coupable de t'aimer, et de te l'avoir dit, et répété, encore et encore. Coupable d'avoir pris la terre à témoin de cet amour qui me consume, coupable de t'avoir consacré mes mots, mes heures, mon énergie. Coupable de n'avoir pas su me lier les mains pour résister à la tentation de t'écrire quand j'ai compris que la situation était en train de m'échapper, et que ma vie s'en trouverait à jamais bouleversée.
Hélas, je n'ai pas eu cette force, et, folle que j'étais, je n'ai pas su retenir les mots qui allaient m'être fatals. Tous ces mots que l'autre me jeta au visage avec une violence qui me glaça d'autant plus que je me savais coupable.
Coupable de t'aimer et de ne pas le lui avoir avoué, à lui. À l'autre.
Car il y a un autre, Philippe.
Mais sans doute devrais-je dire, à présent qu'il a découvert mon forfait: il y avait un autre.


16 février 2008

Patatras



L'étau se resserre, ça chauffe, il est grand temps que j'aille me mettre au vert.
En espérant que le plus gros de l'orage sera passé quand je rentrerai.
Promis, des explications à mon retour.

Valentine

14 février 2008

Las, où est ce cœur vainqueur de toute adversité ?


Hélas ! Malgré les 3601 roses qui fleurirent mon message, les doctes de Libé ne voulurent pas cautionner mon amour pour toi, Philippe. Par excès de puritanisme ou de mollesse, sans doute. Peut-être furent-ils frappés de stupeur devant tant d'amour ? À moins que Bécasse Schneck, éminente membre du jury, n'ait frappé d'opprobre ces pages où elle avait été si souvent conspuée, par moi ou par d'autres.

Qu'importe.

Je trouverai bien d'autres moyens de te brûler aux flammes de ma passion. Quant au voyage, celui que tu nous as concocté est bien plus excitant que ceux que nous n'avons pas gagnés pour ma fête.

Merci en tout cas à tous ceux qui ont déposé ces douces roses, et sus aux membres du jury, ces débiles qui s'entraînaient sans doute pour la Panique au Mangin Palace de ce dimanche.

À toi pour toujours,


Valentine



Vue du Cimetière de Gênes, Italie.

06 février 2008

Valentine aime Philippe



Cher Philippe,

L'an passé, j'avais espéré que tu te manifesterais pour ma fête. Las, seul le silence m'avait célébrée, et de dépit, j'avais fini par élire d'autres Valentins, sans mesurer combien un tel affront pouvait t'être offensant.

Pardonne-moi.

Cette année, toi seul auras la faveur de mes vœux. Et pour que mes mots trouvent un écho à la mesure de l'amour que je te porte, je les ai confiés au journal qui fut naguère le témoin de notre passion.

Si d'aventure ils touchaient le cœur du jury, s'ils sortaient victorieux de l'amoureux concours, promets-moi, Philippe, d'en partager le prix.

À toi pour toujours,

Valentine


PS : Vous qui me lisez fidèlement, n'hésitez à attendrir le cœur du jury en votant ici à coup de roses virtuelles.



03 février 2008

Hal, as-tu du cœur ?

Cher Philippe,

Alors quoi, pas de fée des Lilas, aujourd'hui ? Nul parapluie de Cherbourg, point de cake d'amour ? Je te le concède, rien ne s'accorde moins à l'univers enchanteresse de Jacques Demy que le monde nébuleux des geek. Imaginerait-on Roméo s'exclamer derrière son écran, alors qu'un pop-up viendrait de lui annoncer que Juliette69 souhaite connaître ses détails :

Quelle est cette femme
Qui se cache derrière cet avatar ?
Oh, elle enseigne aux torches à briller clair !
Mon cœur a-t-il aimé, avant aujourd'hui ?
Jurez que non, mes yeux, puisque avant ce soir
Vous n'aviez jamais vu la vraie beauté.


Ridicule.

Elle aurait pu dormir longtemps, la belle au bois dormant, si au lieu de la réveiller d'un baiser, le prince charmant s'était contenté de lui envoyer un mail.

Amour et écran ne vont pas bien ensemble, c'est entendu. Pourtant, il me faut bien reconnaître tout ce que notre amour doit à la technologie moderne. Sans clavier pour t'écrire, aurais-je touché ton cœur ? Quelle fortune aurais-je dû dilapider pour te dire mon amour dans les pages de Libé, et pendant combien de temps ? Les aurais-tu seulement lues, ces annonces amoureuses ?
Dix ans plus tôt, cher Philippe, tu n'aurais pas su que je t'aimais et je me serais consumée de chagrin, rêvant de toi chaque nuit, sans aucun espoir de t'atteindre jamais.
Dix ans plus tôt, Valentine n'aurait jamais trouvé son Valentin.

À toi pour toujours,


Valentine


PS : mais que cela ne t'empêche pas de surveiller les pages de Libé, à l'approche de la saint Valentin...


30 janvier 2008

La première fois

Cher Philippe,

Dimanche, tu consacras une émission entière au doux émoi que les amoureux connaissent bien, cet indicible trouble qui s'empare d'eux lorsque, pour la première fois, ils croisent le regard, les lèvres ou la peau de celui ou celle qui vient de changer le cours de leur vie. D'ailleurs, j'ignore si le cours de ta vie a changé dimanche dernier, mais toi aussi, tu semblais bien troublé, puisque pour la première fois, tu t'emmêlas les pinceaux, et en beauté, boutonnant Pierre avec Paul, et rendant à César ce qui appartenait à Néron - pour ceux qui n'auraient pas été fidèles à leur poste, dimanche dernier, c'est à la 15'44 du podcast de la Panique au Mangin Palace.

Comme quoi, il faut bien une première fois.

Quoique
.

Ne me la refuses-tu pas depuis si longtemps, cette première fois ? Jadis, j'imaginai ta réaction, la première fois que tu découvrirais ces pages, mais cela est désormais bien loin derrière nous. Sans doute n'es-tu même plus étonné de mon amour, sans doute as-tu fini par le trouver normal. Tu t'y es habitué, confortablement. Cet amour, tu sais qu'il existe, mais tu ne le remarques même plus. Comme un vieux couple.
Il faudrait qu'il disparaisse pour que, peut-être, il te manque.
C'est une terrible ironie, tu ne trouves pas ? La seule première fois dont je peux m'enorgueillir avec toi, c'est d'être la première femme au monde à souffrir de l'immanquable ennui amoureux, mais sans l'amour. En somme, l'argent du beurre, sans le beurre.
Mais hauts les cœurs, et foin de pessimisme : malgré le doute, qui, il faut bien te l'avouer, me ronge parfois lorsque je pense à nous, permets-moi de rêver à d'autres premières fois, moins déprimantes.

La première fois que tu m'écrirais.
Tu m'enverrais un message où tu aurais recopié les paroles d'un film de Demy, qui diraient que nos amours resteront légendaires. Tu me donnerais rendez-vous, mais moi, comme une idiote, je ne parviendrais pas à y croire. Je harcèlerais tous mes amis, je les presserais de m'avouer leur forfait, je dirais au monde entier, ici-même, peut-être, que je ne suis pas dupe. Amusé par mes doutes, tu te débrouillerais pour découvrir mon adresse, et tu viendrais m'y cueillir avec un bouquet de lys blancs, parce que tu aurais deviné que ce sont mes fleurs préférées.

La première fois que tu poserais tes lèvres sur les miennes
. J'ai si souvent imaginé cet instant suspendu, je l'ai si souvent décrit ici-même, que j'ai parfois l'impression que cette première fois a déjà eu lieu. Mais cette illusion ne dure jamais bien longtemps, car je sais bien que si tu m'avais déjà fait découvrir le goût de tes baisers, chaque parcelle de mon âme, chaque centimètre carré de ma peau aurait brûlé d'un feu nouveau, et mes mots après cela n'auraient plus eu d'autre sens que de célébrer ce souvenir grandiose .

La première fois où nous nous disputerions. Je t'aurais attendu une demi heure au café où nous aurions eu rendez-vous, et j'aurais fini par partir, furieuse, après t'avoir laissé un SMS rageur en me promettant de ne plus jamais t'attendre pour aller au cinéma. Évidemment, je serais arrivée en retard pour le début du film, et je t'aurais maud(hu)it jusqu'à la huitième génération. Le film, un navet, n'aurait rien fait pour arranger mon humeur de chien, et en ressortant, je me serais promis de profiter de la première occasion pour te rendre la pareille.
Mais alors que j'aurais remonté la rue menant à notre nid d'amour, j'aurais levé la tête vers les fenêtres de notre appartement, et tout mon ressentiment se serait brusquement envolé. Je t'aurais aperçu sur notre balcon, me souriant d'un air penaud, brandissant une immense pancarte en forme de cœur.
Elle aurait porté ces mots :

Je ne suis qu'un crétin.
Je t'aime.
Veux-tu m'épouser?


À toi pour toujours,


Valentine



Juan de Flandes, Retrato de una Infanta, Museo Thyssen-Bornemisza, Madrid, 1496.

21 janvier 2008

I had a dream



Cher Philippe,

Il faut que je te l'avoue. Hier, à 11h07, je n'étais pas devant mon poste, première communiante attendant fébrilement que mon divin époux se manifeste.
Non, à l'heure de la messe, j'étais loin de Paris, au soleil, l'eau glacée rafraîchissant mes chevilles délicates, j'étais bien. Je revivais. C'était comme si le soleil venait réveiller chaque centimètre carré de ma peau endormie par l'hiver, et à mesure que mon corps se réchauffait, mes sens reprenaient au soleil leur bien.
Évidemment, dans une telle symphonie sensuelle, je pensais à toi. Au bonheur que ce serait de mêler nos pas sur la plage, main dans la main, puis de nous laisser tomber ensemble sur le sable mouillé et de laisser les vagues nous emporter tandis que nos lèvres s'uniraient dans un insatiable baiser. Nous finirions par nous relever, trempés, heureux, et par nous réfugier un peu plus haut, à l'abri des vagues. Tu m'offrirais alors un abri de tes bras, et je me blottirais contre ton torse pour ne faire plus qu'un avec toi. Nos deux chaleurs se mêleraient peu à peu, et nous perdrions nos regards dans l'infini de la mer s''enfuyant devant nous...
Voilà à quoi je rêvais hier en contemplant la mer, mon amoureux.
Toute la journée, ce rêve éveillé me porta, m'emplissant d'une stupéfiante joie, jusqu'à ce que, de retour à Paris, je découvre émerveillée que ce n'était plus un rêve.
Malgré tes silences timides, malgré tes pudeurs de jeune homme, toi aussi tu rêvais de m'emmener au bout du monde.

Mieux, tu voulais m'en faire le plus beau des cadeaux pour le jour de notre mariage.

Comment te dire ma joie, devant cette absolue preuve d'amour ? Seul quelqu'un qui me connaît vraiment bien pouvait deviner que de tous les bouts du monde, Zanzibar avait ma préférence. Seul quelqu'un qui m'aime de tout son être pouvait m'offrir une lune de miel sur l'île aux épices.

Alors nous partirons dès que tu le voudras, mon amoureux : je t'attends.


À toi pour toujours,


Valentine

PS : n'oublie pas de remercier Flora et Xavier, et surtout le Parrain, pour leur délicate attention à l'occasion de notre mariage.