15 mars 2008

Salon du livre : 1 - Valentine : 0


Cher Philippe,

Afin de me changer un peu les idées et sortir de la misérable brume qui s'est abattue sur ma vie depuis quelques temps, j'avais décidé aujourd'hui d'aller faire un tour au Salon du Livre, où je reprendrais peut-être goût au monde comme il va.
Grand mal m'en prit.
D'abord, il faut savoir que le Salon du Livre se tient à l'endroit le plus improbable et le plus inaccessible de la capitale, et qu'y parvenir est déjà toute une aventure, qui peut, les jours d'affluence, virer au cauchemar. Après ce qui me parut des heures à être bringueballée dans la touffeur du métro, et après avoir enfilé des kilomètres de couloirs dans l'espoir de trouver enfin la ligne 12, j'émergeai porte de Versailles, les pieds en sang dans mes bottes grises que j'avais eu la bêtise de chausser.
Là, une file interminable m'accueillit, et je dus patienter de longues et longues minutes sous ce qui commençait vraiment à ressembler à de la pluie, avant de me plier à un effeuillage en règle devant les vigiles intransigeants qui gardaient l'entrée du Temple. Quand il fut enfin démontré que mes bottes ne dissimulaient nul autre engin explosif que mes pieds moribonds, je fus autorisée à pénétrer dans le saint des saints. Las ! Moi qui m'attendais à un sanctuaire, où le Verbe aurait été célébré par de respectueux fidèles, je ne trouvai que des marchands du temple. Partout, ils fourmillaient, babillaient, gesticulaient et braillaient pour attirer le chaland, le tout dans une fournaise insupportable qui, à elle seule, signifiait sans ambiguïté le caractère infernal des lieux.
Accablée, je me frayai un douloureux chemin à travers les allées encombrées, cherchant en vain le stand que m'avait indiqué un ami qui devait s'y trouver pour une signature. Comme la climatisation, la signalétique devait être en berne, car il me fallut de nombreux tours et détours dans ce labyrinthe, où des Minotaures surgissaient au coin de chaque ruelle, avant de tomber enfin, et presque par hasard, sur le stand tant désiré. Mon soulagement fut de courte durée. La signature était finie depuis belle lurette, et de nouveaux auteurs que je ne connaissais pas avaient déjà pris place derrière les piles de livres. J'allais repartir, quand, par miracle, je vis l'ami pour lequel j'avais traversé tout Paris fendre la foule et venir vers moi avec un grand sourire. Nous restâmes un moment à discuter devant le stand, puis il m'abandonna quelques minutes pour aller me chercher un exemplaire de son livre.
Distraitement, je me mis à regarder autour de moi pour me donner une contenance, et une voix soudain me fit tendre l'oreille. Cette voix, je la connaissais. Je l'entendais souvent à la radio. Sur France Inter. Mais ce n'était pas la tienne. Je ne parvenais pas à y mettre un nom, pas encore, mais je savais une chose : j'aimais cette voix. Je n'avais jamais vu l'homme de la bouche duquel elle sortait, mais rien d'étonnant à cela : muet, tu me serais toi aussi méconnaissable. Par bonheur, cet inconnu qui n'en était pas vraiment un se tenait derrière une pile de livres, c'était donc un auteur, et il allait me suffire d'approcher de quelques pas pour lire son nom sur la couverture.
Ce que je fis. Mais oui, bien sûr ! Comment avais-je pu ne pas retrouver le nom de Guillaume Erner ? Aussitôt, mon imagination se mit à bouillonner. Il fallait que je lui adresse la parole, que je lui dise tout le bien que je pensais de lui, et le plaisir de tomber sur lui comme ça, sans l'avoir prévu, tel un petit miracle dans cette équipée jusque là apocalyptique. Et puis, Guillaume Erner, c'était France Inter, et France Inter, c'était toi... Imagine, Philippe, mon exaltation ! À cet instant, je ne regrettais plus du tout de ne pas avoir eu l'idée de chausser de vilaines mais confortables baskets: mes bottes me mettaient au supplice, mais elles étaient assez affriolantes pour me donner de l'assurance.
Il n'y avait donc plus qu'à.
Sauf que voilà. Mes jambes ne parvinrent pas à me porter pour combler le court espace qui nous séparait, ni mes mots à franchir le barrage de mes lèvres. J'étais tétanisée, paralysée par une pensée qui venait de glacer mon cerveau. Qu'allais-je bien pouvoir dire à cet homme ? Que je l'admirais ? Et après ? Ne savais-je pas bien ce qu'il en coûtait d'avouer son admiration à un homme dont la voix et l'esprit m'avaient séduite ?
Aussi suis-je repartie. Sans un mot.
Et peut-être est-ce là ce que j'aurais dû faire avec toi. T'aimer en silence.

Valentine.


Jan Davidz de Heem, Vanité aux livres, Musée des Beaux-Arts de Caen, 1628.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Chère Valentine,
1 : si vous aviez aimé P.C. en silence, nous n’aurions pas eu le plaisir de faire votre connaissance.
2 : de toute façon vu l’abattage de Guillaume Erner, vous n’auriez pas pu en placer une.
3 : les fameuses bottes, ce sont celles-ci ( http://amoureusedephilippecollin.blogspot.com/2007/01/fallait-pas-mnerver.html ) ?

Anonyme a dit…

Chère Valentine,

Je rejoins l'avis de Christian ci-dessus.

Aimer en silence n'est pas une bonne idée : non seulement parce que cela nous aurait privés de votre blog, mais aussi parce que pour vous, ce choix se serait révélé, je crois, encore plus frustrant et douloureux.
Aimer sans le dire demande un grand courage (l'amour est un don de soi, ce qui dans le cas présent nous renvoie à Montherland écrivant que "les seuls sacrifices véritables sont ceux que l'on tait"). Si le geste est beau, il est terrible.

Et puis qui vous prouve que Philippe est aussi insensible qu'il semble l'être à votre passion ?
S'il ne s'est pas manifesté pour vous ouvrir ses bras, il n'est pas intervenu non plus pour vous envoyer paître les orties.
Vos espoirs peuvent, j'en suis convaincu, demeurer intacts.

Enfin... n'êtes vous pas troublée, une fois de plus, par l'étrange lien qui relie votre billet à la Panique de ce matin ?

La mort et ses mystères renvoient indubitablement à la littérature, donc aux livres.

Qu'il me soit permis de citer Jean d'Ormesson (bien que vous ne l'aimiez guère) : "Le journaliste se penche sur la vie, l'écrivain sur la mort" (je cite de mémoire).

Enfin, la mort résonne avec cette superbe Vanité que vous avez placée en tête de votre billet.

Philippe vous a proposé, ce matin, une petite mort qui devrait vous plaire.

Anonyme a dit…

Moi, je partage la méfiance valentinesque contre le Salon du Livre. Je vais plus loin : y aller me déprime. Cette immense salle qui balance entre le cocktail mondain et le supermarché culturel me donne généralement la nausée. Cette année, même la littérature israëlienne n'a pas pu m'y attirer.

Valentine a dit…

Pour répondre à votre curiosité, cher Christian, la réponse est non - d'ailleurs, celles que vous citez n'étaient pas les miennes, qui sont beaucoup mieux, évidemment.
Et vous, Monsieur Kaplan, vous avez raison, bien sûr, et vous devinez, n'est-ce pas, combien cette thanato-panique eut l'heur de me plaire, même si la petite mort était encore bien loin...
Quant à toi, chère Kalliope, tu étais bien mieux sur une plage ensoleillée qu'à la foire aux vanités sise, comme chacun sait, à la porte bien nommée.

Anonyme a dit…

Chère Valentine,
Sur le site d’@rrêt sur images l’émission de la semaine est consacrée à la création du site lui-même : la pétition, la gestion du site et … les méthodes de travail de l’un de ses chroniqueurs : Alain Korkos, que je ne connaissais pas mais qui semble être quelqu’un d’extrêmement intéressant.
Sa spécialité est de partir d’une photo d’actualité et de montrer les échos historiques auxquels elle fait référence, dans un passé proche, mais aussi parfois dans des tableaux de Maîtres.
Et de quoi a-t-il parlé cette semaine ? D’une photo de Keith Richards faite par Annie Leibovitz pour une campagne publicitaire de Vuitton , et dans laquelle Korkos à identifié très précisément une Vanité. Très proche de celle qui illustre votre post.
La photo peut-être facilement trouvée sur le net, la vanité (le crâne, les livres et la longue vue) se trouve sur la table, à droite.
Cordialement

Valentine a dit…

Cher Christian,

Merci pour cette info, qui me touche bien plus que vous ne pouvez l'imaginer - moi et les vanités, c'est une longue histoire...
Malheureusement, je ne peux accéder au site d'ASI, n'étant pas abonnée - mais votre description me permettra de remonter à la source.
Merci encore,

Valentine