Pour ceux qui auraient raté le début : 1.
La rencontre.
2. L'avènement.
Pendant quelques semaines, tu parvins à t’en tenir à ta résolution. Parfois, quand tu visitais la toile à la recherche d’une information, il t’arrivait bien d’être tenté de rechercher ces pages, comme pour te prouver que tu n’avais pas rêvé, ou en espérant, peut-être, que tu avais rêvé, mais tu parvenais à repousser cette tentation, tu n’allais pas me faire cet honneur. Puis vint le jour où l’un de tes collaborateurs entra dans ton bureau en t’annonçant, hilare, que tu étais devenu une super star, la preuve, tes fans allaient jusqu’à créer des blogs pour te crier leur amour. Renfrogné, tu répondis que tu n’avais vraiment pas le temps pour ce genre d’inepties, mais ton visiteur insistait : vraiment, il fallait que tu ailles y voir, c’était dingue. Tu t’arrangeas pour congédier l’importun, mais voilà, le ver était dans le fruit.
Cette scène, tu allais la revivre, et quand ce n’étaient pas des gens de Radio France, c’étaient tes amis qui enfonçaient le clou. Quand ta femme te demanda, un soir, qui était cette Valentine, tu compris qu’il ne servait plus à rien de nier : de quoi aurais-tu eu l’air à nier l’existence d’une maîtresse qui n’en était pas une ? Alors qu’une amoureuse, après tout, c’était plutôt confortable, d’autant qu’elle ne te demandait rien, ou si peu.
Aussi décidas-tu, après avoir pris la peine de rassurer ta bien-aimée sur la force des sentiments que tu lui portais et sur l’absolue fidélité que tu lui vouais, de revenir en ces pages et de les considérer d’un nouvel œil. Détaché. Ouvert. Et, pourquoi pas, curieux.
Une amoureuse, c’était bien. Nul besoin de raviver la flamme, elle s’en chargeait elle-même. Tu ne lui répondais pas, elle t’aimait quand même. Certes, il lui arrivait de t’en faire le reproche, mais qu’importe, puisqu’elle persévérait malgré tout. Tu ne répondrais jamais, tu pouvais donc te laisser aller au plaisir d’avoir une amoureuse de papier. Désormais, de temps à autre, tu allais faire un tour sur ces pages, et tu te laissais surprendre à les goûter, pas toutes, non, mais certaines d’entre elles te plaisaient bien. Certains dimanches, après ton émission, tu visitais ton amoureuse, et tu étais presque déçu lorsqu’elle n’en disait rien. Quand elle en disait
trop, ou qu’elle t’implorait de lui faire
signe, tu te remettais parfois à lui en vouloir, et puis tu te rappelais que c’était elle qui t’aimait, toute seule, et ta colère s’envolait.
Tu ne le lui avouerais pas, bien sûr, mais la recherche et le soin qu’elle mettait à t’aimer te touchaient. C’était comme si, perdue dans Paris, une flamme brûlait pour toi, fidèle, et cette pensée te réchauffait : on t’aimait, sans conditions. Parfois, quand tu t’aventurais dans l’est parisien, tu te prenais à imaginer que cette jeune femme que tu venais de croiser et qui avait attiré ton œil, c’était Valentine. Ou que cette autre, dont tu t’étais moqué quelques minutes plus tôt, tant son allure était grotesque, cela pouvait aussi être elle.
Cette amoureuse, enfin, t’offrait un monde infini de possibles : avec elle, toutes les femmes devenaient tes amoureuses. Tu étais l’homme le plus aimé du monde.
Aussi ne te dirai-je pas, cher Philippe, si nous nous sommes déjà rencontrés : c’est ma part du secret, or
qui donne son secret le perd, ainsi que Jean Paulhan l’assura en son temps à Jacques Cheissex.
A toi pour toujours,
Valentine
PS : On me
demanda ici-même pourquoi j’étais amoureuse de toi, et ces billets y répondent. Pour ceux qui trouveraient cette réponse abracadabrante, j’ajouterai que je suis amoureuse de Philippe Collin tout simplement parce que ça me réjouit.
Adam et Eve, Eglise de Vertou, VIème siècle.