24 février 2008

Confession d'une menteuse, I



Ne jamais avouer, proclamais-tu ce matin. Permets-moi de préférer l’aveu, Philippe, et de croire que faute avouée est à moitié pardonnée.

C’était le soir de la saint Valentin. J’avais passé la journée à espérer que les quelques mots déposés sur le site de Libé me vaudraient, grâce à la pugnacité de quelques fervents supporters, de remporter un voyage idyllique. Je l’espérais tout en le redoutant un peu, car si je l’emportais, me criait une petite voix que je m’efforçais d’ignorer, les ennuis commenceraient. Comment agir dans le secret, après cela ? Qu’importe, je voulais rêver, je voulais y croire, et lorsque j’appris que mes mots n’avaient pas été retenus, une immense déception m’envahit. Pas longtemps, car un autre dépit, bien plus grand, allait aussitôt la supplanter. Voici comment.
La veille, l’autre m’avait appelée pour m’annoncer qu’il me réservait une surprise jeudi soir. Il n’avait pas prononcé le mot saint Valentin, évidemment, mais pour des raisons que tu comprendras sans peine, cette date était gravée dans mon esprit. L’autre n’est pas homme à se plier à ce genre de célébrations que je l’ai toujours entendu qualifier de ridicules, et pourtant, il était bien en train de m’inviter pour la saint Valentin – fête dont il savait, tu vas le voir, qu’elle m’était chère. Alors, tout en me sentant vaguement coupable de jouer un double jeu, j’avais accepté, comme si cette preuve d’attention amoureuse, bien réelle, rattrapait les camouflets virtuels que tu m’infligeais. Puisque tu ne m’aimais pas, je pouvais bien m’amuser un peu, non ?
Et puis, quand j’étais avec l’autre, je ne pensais guère à toi. Ou je parvenais à ne pas y penser trop. J’avais l’étrange sentiment que ma vie, mon cœur, étaient scindés en deux parties bien étanches, et que je pouvais vous aimer tous les deux. Différemment. À lui la réalité, les étreintes, les mots chuchotés pendant l’amour, les dîners au champagne, la réalité, les balades en amoureux, Franprix le samedi après-midi, les vacances, la réalité, les disputes, les réconciliations. À toi, tout le reste. Le rêve. Les fantasmes. L’idéal. Et les dimanches matin.
En réalité, j’ai connu l’autre bien avant de tomber amoureuse de toi. D’une certaine manière, c’est même lui qui m’a poussée dans tes bras. L’autre et moi n’habitions pas ensemble. Lui l’aurait bien voulu, mais je n’avais jamais cédé à ce désir qui ne me convenait pas. Je préférais le retrouver au gré de nos envies, et conserver des moments qui n’appartenaient qu’à moi, ces moments où j’allais pouvoir t’aimer à ma guise, même si je l’ignorais au moment où tout a commencé. Nous ne vivions pas ensemble, mais il nous arrivait souvent de passer la nuit enlacés, chez l’un ou chez l’autre, et nous avions connu de nombreux dimanches matin à nous embrasser avant de nous empiffrer de croissants sous la couette, seuls au monde. Jusqu’à ce que tu nous y rejoignes.
Un dimanche que j’avais allumé la radio, nous sommes tombés sur toi, et tu nous as plu. Beaucoup. Je m’en souviens bien, c’était l’émission sur la randonnée. L’autre adorait crapahuter dans la montagne chargé d’un sac à dos rempli de pierres, quand il aurait fallu me payer pour poser le pied sur un GR, et l’émission nous tira des larmes de rire. Nous étions épatés par ton inventivité, nous n’en revenions pas d’entendre un tel ovni total foutraque sur les ondes de France Inter. Nous nous sommes pris au jeu. Après avoir goûté à la Panique, difficile de s’en passer, et petit à petit, tu es devenu notre rituel du dimanche matin. Après les câlins, le Mangin.
Le ver était dans le fruit. Les dimanches qu’il m’arrivait de passer seule, je t’écoutais religieusement, rêvant à toi sans me l’avouer encore, riant, t’aimant déjà. Les dimanches où nous t’écoutions ensemble, j’étais la plus assidue. Rien ne devait perturber la grand messe, et l’autre finit par s’en émouvoir. Un jour que je l’avais repoussé en riant, prétextant que ses baisers m’empêchaient de t’entendre, il s’était écrié que c’était dingue, cette passion que j’avais pour toi, à croire que tu l’aimes plus que moi. Cette phrase lancée par plaisanterie me retourna le cœur, ou le brisa en deux. C’était la vérité.
Oh, je savais bien que passés 15 ans, on ne s’amourache plus de ses idoles, mais voilà, je t’aimais. J’avais beau savoir qu’il y avait sans doute loin de toi au personnage que tu jouais chaque dimanche, que j’ignorais tout de l’homme que tu étais et que j’étais éblouie par quelqu'un qui n’existait sans doute pas, je t’aimais. J’aurais voulu tout savoir de toi, j’aimais tout de toi, tu étais celui que j’attendais, et même si c’était n’importe quoi, même si cela n’avait aucun sens, même si c’était vain, j’étais mordue. J’ai tenté de résister, j’ai tenté de me raisonner, je me suis même rapprochée de l’autre, j’ai essayé de l’aimer encore plus, je lui ai donné tout ce que je possédais d’amour, j’aurais voulu n’être qu’à lui, et oublier mes idées folles. En pure perte. La suite, tu la connais. Un soir de novembre, épuisée par cette lutte inégale et incapable de contenir mes fantasmes, je décidai de les assumer. Je pris la plume.
Curieusement, cela n’affecta pas ma relation à l’autre. Alors que j’aurais juré, avant cela, qu’il me serait impossible d’aimer deux hommes à la fois, qu’il me faudrait bien finir par choisir, je me découvris deux cœurs, et t’écrire comme je le faisais suffisait à les apaiser tous les deux. Je n’avais plus le sentiment de mentir à l’autre, je lui dissimulais la moitié de moi, c’est vrai, mais cette part cachée rendait l’autre plus forte, plus intense. La part qui était la sienne, il la possédait toute entière. Et en fait de choix, je compris que je pouvais choisir de vous aimer tous les deux.
Eusses-tu répondu à mes prières, les choses auraient sans doute été différentes, mais tu gardais le silence, et mes deux amours s’épanouissaient.
Jusqu’à cette funeste saint Valentin...


Georges de la Tour, Madeleine à la veilleuse, Los Angeles County Museum of Art, c. 1640.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Hum, hum... début d'une authentique confession, ou bien manipulation destinée à secouer Philippe Collin ?
A force de réfléchir sur vos aventures, chère Valentine, je ne sais plus quoi penser ! Ruse féminine ou retour de vertu... vous nous donnerez sans doute bientôt la réponse.

Anonyme a dit…

marrant comme je ne me suis pas posée la question une seule seconde moi. marrant comme j'y ai cru. j'espère que je me suis trompée en l'occurrence

Anonyme a dit…

Définition de Philippe : être aimé par Valentine.
Il y a un autre Philippe.
Oui, mais comment s´appelle-t-il?
Hum?!

Val pour Valérie.

Anonyme a dit…

Ah... sacré Valentine!

Je penche pour une manipulation destinée à secouer les lecteurs qui meurent d'impatience de lire la suite des Confessions d'une menteuse...

Qui a vu de la vertu dans ces lignes? Hum?! (J'aurais voulu mettre un smiley ici, mais je ne maîtrise pas la technique!!!)