29 juin 2008

Un peu, beaucoup, pas du tout ?



Yannis de plus en plus maculé de peinture au cours de la séance, sur la salopette vert bronze qu’il est monté mettre dès que j’ai sonné à la porte, me torturant, me soûlant pour que je tienne le coup, me demandant encore un peu de temps, brossant trois ou quatre portraits par jour puis les salopant à terre en les aspergeant d’un acide qui les ronge et me défigure, me priant de retirer mon chapeau, et moi me sentant encore plus nu, disant : Ce ne sera pas la peine d’attaquer les nus, on les a déjà faits. Et lui : Je t’ai pris ton âme. C’était un amour d’une tension extraordinaire qui passait entre ces deux regards, de celui qui fixait en peignant, et de celui qui fixait en étant peint. C’était une activité physique qui aurait rendu dérisoire l’activité érotique, qu’elle comprenait sans l’exprimer il va sans dire. Mais la même chose aurait pu être racontée tout à fait autrement, elle aurait pu prendre dix pages tout autant que quelques lignes lumineuses qui auraient tout raconté mais que je n’ai pas trouvées. C’est le hasard et le désespoir de l’écriture qui ont figé ainsi cet épisode, jusqu’à ce que je le déchire et le recommence, à jamais, toujours le même, jusqu’à la folie, jusqu’au silence.



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Hervé Guibert, L'homme au chapeau rouge, Gallimard, 1992.
Hervé Guibert, Autoportrait.

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