19 novembre 2007

Enchantement, II

Cher Philippe,


Au matin du deuxième jour, je me réveillai avec des rêves plein les yeux, encore sous le charme du songe qui m’avait ravie en me laissant croire qu’une bonne fée s’était penchée sur moi et m’avait offert d’exaucer mes trois vœux les plus chers. Encore ensommeillée, je tendis la main pour allumer la radio, et découvris avec stupéfaction que je n’avais pas rêvé. Le premier vœu que j’avais formulé s’était bel et bien réalisé, et France Inter était redevenu le refuge des voix chères qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être.
Exaltée, je me redressai dans mon lit et prononçai à voix haute le deuxième de mes vœux.
Et voici ce qui arriva :


Un flash spécial interrompit soudain l’excellente émission de Vincent Josse qui occupait désormais toute la tranche du 9-11, et attira mon attention. Nicolas Sarkozy avait été retrouvé baignant dans une mare de sang, dans la salle de bains aux robinets chromés de l’Elysée. Les premiers éléments de l’enquête avaient permis de conclure à une mort accidentelle des plus stupides. Alors que le chef de l’Etat ( ?) se rasait en écoutant les informations d’Europe 1, sa main avait dérapé lorsque Jean-Pierre Elkabbach avait annoncé d’une voix funèbre qu’en dépit des excellentes propositions qu’avait faites Nicolas Sarkozy pour sortir de la crise qui paralysait le pays par la faute d’une poignée d’irresponsables égoïstes, la prise d’otage dont le pays tout entier était la victime innocente depuis quelques jours ne semblait pas prête de finir. Sans doute ivre de rage devant ce camouflet qui lui était infligé, le président ( ?) avait mimé la manière dont il comptait bien trancher dans le vif pour libérer le pays de cette chienlit qui le rongeait depuis trop longtemps. Las, il avait oublié qu’il tenait à la main un rasoir de qualité supérieure, et la seule folie qu’il trancha fut la sienne.
Aussitôt, l’état d’urgence fut décrété, et les Français découvrirent bientôt que, Nicolas Sarkozy disparu, la France était livrée à elle-même. Les membres du gouvernement furent bien forcés d’admettre qu’ils n’avaient été recrutés que pour donner le change, et qu’ils n’avaient aucune idée de la manière dont ils pourraient gouverner le pays, à présent que leur mentor n’était plus. Dans un bel élan de solidarité comme on n’en avait plus vu depuis longtemps, les députés décidèrent eux-mêmes de dissoudre l’Assemblée, dont la composition abracadabrantesque sautait désormais aux yeux et ne s’accordait pas avec l’ardeur démocratique, qui, au même moment, s’élevait en grondant à travers tout le pays.
Partout, dans les villes et les campagnes, on assistait au même spectacle réjouissant : main dans la main, les citoyens s’attaquaient à la chape de plomb réactionnaire qui avait failli tuer dans l’œuf le contrat social, et réclamaient le retour à l’ordre républicain, le vrai. Ceux des médecins qui, depuis quelques années, avaient eu la fâcheuse habitude de confondre la santé publique avec une poule aux œufs d’or, ceux qui avaient refusé de soigner les bénéficiaires des minima sociaux, étaient reconduits aux frontières vers les el dorado qu’ils avaient tant aimé prendre en exemple. Les autres, la grande majorité, rassemblés derrière Martin Winckler et Patrick Pelloux, redessinaient la carte de France de la santé, décrétée d’absolue utilité publique, au même titre que l’énergie, le logement, l’éducation et les transports. Un nouveau parti émergea rapidement à partir des réseaux dormants de la résistance républicaine et démocratique, et bientôt, de nouvelles élections furent organisées.
L’UMP ne put présenter aucun candidat, décapité qu’elle était par la mort de son chef qui avait été enterré à la hâte au cimetière de Neuilly – les protestations de quelques hurluberlus réclamant que leur chef fût enseveli avec les honneurs en un lieu à sa taille furent balayées d’un revers de main, et en fait de sarcophage monumental aux Invalides, Nicolas Sarkozy eut droit à une dernière demeure exactement à sa mesure, 1m 67. Au PS, l’incapacité des éléphants à s’accorder sur un candidat en moins de cinq ans priva ses membres, peu nombreux il est vrai, de représentation, et l’élection fut remportée sans aucune difficulté par le nouveau parti qui venait d’émerger, nommé le Fil RSS, le Fil de la République Sociale et Solidaire.
Le Fil RSS avait la particularité d’être dirigé collégialement, et ce fut donc un collège de sages qui s’installa à l’Elysée, parmi lesquels siégeaient toutes les personnes de bonne volonté susceptibles de renouveler le contrat social en assignant à l’Etat la mission première et inaliénable de garantir à tous l’égalité, la liberté, et la solidarité.
Ce qui fut fait.


Enchantée par la bonne fortune que nous allions désormais connaître collectivement, je décidai de prendre un peu de repos avant de prononcer mon troisième vœu, le premier dans l’ordre de mon cœur. J’avais sauvé France Inter du naufrage, j’avais restauré la République, je me sentais en droit d’utiliser mon premier vœu pour moi, uniquement pour moi, et avant de prononcer les mots qui allaient m’apporter ce dont je rêvais depuis si longtemps, il me fallait bien réfléchir à la meilleure façon de les formuler, afin que mon vœu se réalise aussi de la meilleure façon qui soit.


A suivre…


Gustave Moreau, La fée aux griffons, fin XIXème siècle, Musée G. Moreau, Paris.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Chère Valentine,

Ce voeu est tout à fait remarquable et sa réalisation est des plus réjouissantes.

Gageons que demain, 22 novembre, jour anniversaire de la disparition de John F. Kennedy dont on a beaucoup parlé lors de la cérémonie de couronnement de notre actuel prince-président, verra ces joyeux et fastes événements s'inscrire dans les colonnes de nos journaux.

Dieu, que la France va être belle !

J'ai comme une petite idée de ce que peut être votre troisième vœu, et vous le méritez bien, mais... je suis tout de même impatient d'en lire le récit, par votre plume toujours si brillante et - il faut le dire - délicieuse.

Bien à vous.

Valentine a dit…

Cher monsieur Kaplan,

Peut-être mon troisième vœu vous surprendra-t-il ?
Merci, en tout cas, des compliments que vous me faites, et qui me touchent.
Valentine

Anonyme a dit…

Marraine la fée,

Comme il est bon en effet de voir sous votre plume devenir réel un voeu qui nous est cher.

Comme il fut bon en effet d'entendre sur notre bonne vieille antenne ainsi reliftée qu'enfin notre ancien président redevint un citoyen lambda.

Comme il sera bon de découvrir votre troisième voeu, qui, j'en suis certaine, ravira nos yeux.

Enchanteressement vôtre.

Anonyme a dit…

Chère Valentine,

Merci d'avoir épargné ND, qui, j'en suis sûre (et je l'espère), saura faire son miel de tes sages conseils.
Surtout, puisqu'il est ici question de magie et d'amour, j'ai pensé que la recette de ce philtre trouvé sur radioblog pourrait t'être utile : il s'agit de l'inoubliable "recette du cake d'amour" chantée par Catherine Deneuve.

http://www.radioblogclub.fr/open/56776/recette_du_cake_d_amour/Recette%20du%20cake%20d%27amour

Quand Philippe apparaîtra devant toi, prudence : une amie m'a révélée un jour qu'elle avait entendu l'actrice dans une interview déclarer qu'on lui demandait toujours si elle avait réellement éprouvé la recette... et elle a révélé qu'en fait, le résultat était... immonde !
Quelques chansons après, on pourra aussi réécouter la douce voix de Delphine Seyrig démythifiant le complexe d'Oedipe.