Fébrile, je fermai les yeux et prononçai tout haut les mots qui devaient me conduire au bonheur. Puis je rouvris les yeux sur le monde, sûre qu’il avait changé.
Le contact des draps était toujours aussi doux contre ma peau. Le jasmin posé sur la commode ne me semblait pas plus fleuri, et les murs blancs ne brillaient pas d’un éclat qui aurait pu annoncer une apparition. Les rideaux, à la fenêtre, faisaient ressortir le bleu étincelant du ciel, mais nul visage aimé ne s’y affichait. Qu’avais-je donc cru ?
Sans réfléchir, j’allumai la radio, et ne fus accueillie que par une publicité idiote vantant les mérites d’une compagnie spécialisée dans le recouvrement des impayés. Hébétée, je l’éteignis aussitôt et me recroquevillai légèrement entre les draps. Pourquoi diable ne se passait-il rien ?
J’attendis, j’attendis encore.
Rien.
Puis une lueur me vint : s’il m’avait suffi d’allumer la radio pour apprendre que mes deux premiers vœux avaient été exaucés, aucun flash spécial ne pourrait, cette fois-ci, dire au monde ce que j’espérais tant. C’était ailleurs que tout se jouerait, loin de mon lit – du moins dans un premier temps. Forte de cette nouvelle certitude, je me levai et me précipitai sur mon ordinateur, soudain certaine qu’un commentaire m’attendait, qui me dirait que faire. Hélas. Nul commentaire, ni rien non plus sur mon téléphone, que j’éteignis et rallumai pourtant quatre fois de suite pour être sûre qu’il fonctionnait bien. De désespoir, j’ouvris avec fracas les fenêtres et les portes mais ne trouvai personne qui s’y serait caché à m’attendre. J’étais seule.
Deux heures plus tard, je l’étais toujours, et mon portable aurait dû fondre sous le coup des vérifications incessantes et compulsives que je lui avais infligées en vain. Folle de chagrin, je me jetai sur mon canapé en pleurant toutes les larmes de mon corps. Qu’avais-je fait pour mériter pareille cruauté ? Maudissant la bonne fée qui s’était changée en sorcière, le visage baigné de larmes amères, je finis par sombrer dans un demi-sommeil hanté de mauvais rêves.
Ce fut la sensation d’une caresse sur ma cheville qui m’en tira. D’abord, je ne voulus pas y croire, encore toute à mon rêve agité. Mais c’était bien une main douce, chaude et assurée qui effleurait ma peau et remontait lentement le long de ma jambe nue, faisant naître en moi de délicieux frissons. Je résistai à la tentation d’ouvrir les yeux, de peur que le charme ne se rompe, et m’abandonnai entièrement à l’exquise torture à laquelle me soumettait cette main inconnue. Je savais qui se cachait derrière elle. Un seul homme sur la terre était capable de me faire ainsi vibrer, d’embraser mes sens d’une seule caresse, de me conduire aux portes du plaisir rien qu’en soufflant sur ma peau nue pour attiser le feu qui me consumait. Quand la main s’amusa à frôler le repli secret de mon genou, là où la peau était si sensible, puis glissa un peu plus haut sur ma cuisse, s’immisçant doucement sous ma jupe, une onde de chaleur s’insinua en moi, remontant comme une flamme jusqu’à mon sexe brûlant de désir. Si la main s’aventurait plus haut, j’allais défaillir. Si elle s’arrêtait là, j’allais devenir folle…
Ce fut à cet instant que je me réveillai, haletante.
Ce n’était qu’un rêve.
Pourtant, malgré le trouble dans lequel il m’avait précipitée, j’eus très vite le sentiment qu’il n’était pas survenu par hasard. Ce rêve me disait d’aller au bout de mon désir, d’aller trouver ces mains qui m’enflammeraient. Et soudain, comme par miracle, je sus où je trouverai le doux objet de mes vœux.
Une heure plus tard, je sirotais une coupe de champagne au bar de l’Hôtel du Louvre, ignorant le regard lourd de désir des hommes qui m’entouraient. Je n’aurais d’yeux que pour Lui, et je savais qu’Il viendrait. Une heure passa, puis deux. Enfin, quand le serveur vint me demander si je désirais une troisième coupe, je dus me rendre à l’évidence. Dissimulant à grand peine ma déception, je déclinai sa proposition et repris tristement le chemin de ma maison. J’étais si sûre, pourtant, qu’Il viendrait…
Chez moi, nul message ne m’attendait, et je me laissai tomber avec un grand soupir sur le canapé où j’avais si bien rêvé. Sans y penser, j’allumai la radio et fus soudain frappée de stupeur en entendant la chanson qui y passait à cet instant précis :
Il vous faut oublier à présent ces fantasmes démoralisants
Et vous rencontrerez un charmant va-nu-pieds ou un prince mendiant
Mais, de grâce, oubliez cet hymen insensé !
Frederico Fellini, La Dolce Vita, 1960
Michel Legrand, "Conseils de la Fée des Lilas" et "Rêves secrets d'un prince et d'une princesse", Peau d'Âne, 1970