10 novembre 2008

Amoureuse de Philippe Collin



Le 6 novembre 2006, je suis tombée amoureuse de Philippe Collin.
Je lui ai alors dédié un temple amoureux,
qui commençait par ces mots :

Primo, je suis amoureuse de Philippe Collin ;
Secundo, j'ai 33 ans, or, contrairement à Alexandre, je n'ai pas encore conquis la moitié du bassin méditerranéen et soumis l'univers. Il est donc plus que temps que je fasse quelque chose ;
Tertio, l'hiver approche, et il est bon de se trouver de saines occupations pour meubler les longues soirées d'hiver (voire les lits toujours un peu plus froids en cette terrible saison).
En d'autres termes, je n'aurai désormais d'autre but que de séduire celui qui m'a séduite.
Aussi, j'en fais ici serment : énergie, argent, ruse, ruse féminine (variante de la précédente, en plus efficace), temps, doux babil, tout, absolument tout ce qui me constitue tendra vers la réalisation de mon destin.


ÉPOUSER PHILIPPE COLLIN

Et puis, un an et demi et 169 billets plus tard, j'ai écrit le dernier mot de notre amour, dont j'espère bien, comme dans la chanson,
qu'il restera légendaire.
Cette légende rosée commence ici.


Valentine


Antonello de Messine, Vierge de l'Annonciation, Palazzo Abatellis, Palerme, 1476-77.

30 juin 2008

"Words, words, words"


Cher Philippe,

Un jour, on se réveille, rien n’a changé, la lumière d’été filtre comme tous les matins à travers les rideaux, les yeux encore pleins de sommeil ont une fois de plus un peu de mal à s’entrouvrir, tout est comme avant, ni plus, ni moins. Et pourtant, on sait que rien ne sera plus jamais pareil.
L’étincelle qu’on portait au fond du cœur est brisée.
Des centaines de jours, autant de nuits à ne penser qu’à toi, des milliers de mots pour te toucher, être à toi, un amour de tous les instants qui m’a coupé le souffle et transportée de ravissement, un émoi inconnu qui m’a fait vibrer avec une intensité insoupçonnable. Et puis on se réveille, et c’est fini. La vie reprend son bien, les contours sont peut-être un peu moins nets, les couleurs moins vives, les sensations moins aiguisées, mais enfin la vie palpite encore.
On a au cœur un grand trou, ça n’est pas douloureux, non, c’est seulement étrange, on s’était habitué à le sentir entier, on se demande ce qu’on va y mettre, on voudrait déjà le combler, de peur qu’il ne finisse par rétrécir. C’est de nouveau le temps de l’attente, il me faut réapprendre à vivre sans l’idée de toi, sans le soin de toi. À rêver de cet autre qui viendra, et à qui j’offrirai mes mots comme je te les ai offerts, et en attendant, me demander où vont aller tous ces mots dont je fourmille. Je trouverai bien, ne t’en fais pas. T’aimer si fort m’a rendu la parole, grâce à toi j’ai trouvé ce que je cherchais avec tant de fièvre : les mots pour le dire.
Si j’étais d’humeur plus taquine, si je ne songeais pas en formant chacun de ces mots que ce sont les derniers que je t’adresse, si je n’étais pas envahie par la mélancolie des adieux, je pourrais te dire à la manière de Barzotti :

« Je ne t’écrirai plus, je n’en ai plus besoin.
Je ne t’écrirai plus, maintenant tout va bien.
Je ne t’écrirai plus, le calme est revenu,
la tempête a cessé, j’ai fini de t’aimer ».

Mais tant de poésie risquerait de me tirer une larme, et puis, surtout, je ne voudrais pas d’autres mots que les miens pour prendre congé de toi.
Merci, cher Philippe. Ces années à t’aimer ont rendu ma vie plus intense, plus vive, plus joyeuse, et je suis certaine que tous ceux qui aiment tant t’écouter pourraient en dire autant, l’amour en moins. À présent que je ne t’aime plus – mon Dieu, est-ce bien moi qui écris ? –, je ne t’assaillirai plus de mes lettres, tu n’entendras plus parler de moi. Mais tu resteras en moi comme un ami précieux, et je continuerai à me réveiller avec toi chaque dimanche, à savourer le plaisir de rire à tes bons mots.
Et alors, qui sait ? Peut-être t’arrivera-t-il, en direct du Mangin Palace, de songer que de l’autre côté du poste, perdue au milieu de milliers d’auditeurs, Valentine boit tes paroles avec ferveur. Et peut-être qu’à cet instant, tu auras pour elle une pensée particulière.

Peut-être que tu te rapelleras avec émotion que tu fus grâce à elle le plus aimé des hommes.


Valentine


Shakespeare, Hamlet, 1603 (Acte II, scène 2).
Photo Bernard Obadia

29 juin 2008

Untitled



"Et ce fut tout."


Flaubert, L'Éducation sentimentale, 1869.
Léonard de Vinci, Léda, vers 1503.

Un peu, beaucoup, pas du tout ?



Yannis de plus en plus maculé de peinture au cours de la séance, sur la salopette vert bronze qu’il est monté mettre dès que j’ai sonné à la porte, me torturant, me soûlant pour que je tienne le coup, me demandant encore un peu de temps, brossant trois ou quatre portraits par jour puis les salopant à terre en les aspergeant d’un acide qui les ronge et me défigure, me priant de retirer mon chapeau, et moi me sentant encore plus nu, disant : Ce ne sera pas la peine d’attaquer les nus, on les a déjà faits. Et lui : Je t’ai pris ton âme. C’était un amour d’une tension extraordinaire qui passait entre ces deux regards, de celui qui fixait en peignant, et de celui qui fixait en étant peint. C’était une activité physique qui aurait rendu dérisoire l’activité érotique, qu’elle comprenait sans l’exprimer il va sans dire. Mais la même chose aurait pu être racontée tout à fait autrement, elle aurait pu prendre dix pages tout autant que quelques lignes lumineuses qui auraient tout raconté mais que je n’ai pas trouvées. C’est le hasard et le désespoir de l’écriture qui ont figé ainsi cet épisode, jusqu’à ce que je le déchire et le recommence, à jamais, toujours le même, jusqu’à la folie, jusqu’au silence.



...

Hervé Guibert, L'homme au chapeau rouge, Gallimard, 1992.
Hervé Guibert, Autoportrait.

28 juin 2008

Silence ?


Tour à tour tristes et exaltés, soulagés et déchiquetés, ils s’observent en silence, hésitent entre effusion et distance, entre parler ou bien se taire. Ils se tournent autour, sans trop savoir comment s’y prendre.
Elle se lève et prépare deux thés, sort du frigo la bouteille de lait. Gestes empreints d’habitude, son corps connaît les emplacements et les distances entre chaque chose.
Éric la regarde se déplacer, il a les bras croisés. Depuis qu’elle est revenue, ils ne se sont pas touchés.
Elle évite son regard, puis affirme :

— Fais pas cette tête. Comme si t’étais responsable de quelque chose. Personne ne peut vivre avec moi. Déjà pour moi, je vais te dire, c’est pas facile de me supporter… Je ne peux pas me quitter moi-même. Moi aussi, si je pouvais, je me sauverais en courant.
— Je fais aucune tête spéciale. Je suis juste fatigué. Dure journée. Et ne sois donc pas si prétentieuse. Je vais me coucher.
Il se lève, la laisse toute seule dans la cuisine. A voix haute, pour personne, elle prévient :
— Je vais prendre une douche.
Puis se gratte la tête et à mi-voix, commente : pourquoi tu me traites de prétentieuse ?

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Virginie Despentes, Bye-bye Blondie, Grasset, 2004.
Sophie Calle,
Douleur exquise, Exposition "M'as-tu vue", Beaubourg, 2004.

27 juin 2008

Double jeu ?


J’arrive à l’aéroport débordant de haine et, juste après le décollage, je te dis quelque chose d’affreux dont j’ai honte encore aujourd’hui. Tu sais ce qui va se passer ? Tu veux que je te raconte ? On va faire ce qu’on a dit. Nager, paresser au soleil, fumer des joints. Ce sera bien. Je serai charmant, tendre, attentionné, je te ferai l’amour, je te dirai que je t’aime, mais je te préviens : ce sera un mensonge. Je vais passer deux semaines à te mentir, alors que la vérité ce sont les choses atroces que je t’ai dites. C’est ça que je pense de toi et c’est pour ça qu’au retour je te chasserai. Tu as bien entendu ? Dans cinq minutes, je te dirai le contraire, je te supplierai de ne pas croire ce que je viens de dire, mais il faut que tu saches qu’alors je te mentirai. Compris ? Tu fermes les yeux, tu restes un moment sans pouvoir respirer, je vois ton ventre secoué de spasmes. Au bout d’une demi-heure de silence, je prends ta main et te demande pardon.

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Emmanuel Carrère, Un roman russe, P.O.L., 2007.
Callot, Superbia.

26 juin 2008

A la folie ?


Véronique était en analyse, comme on dit ; aujourd’hui, je regrette de l’avoir rencontrée. Plus généralement, il n’y a rien à tirer des femmes en analyse. Une femme tombée entre les mains des psychanalystes devient définitivement impropre à tout usage. […] Mesquinerie, égoïsme, sottise arrogante, absence complète de sens moral, incapacité chronique d’aimer : voilà le portrait exhaustif d’une femme analysée. Véronique correspondait, il faut le dire, trait pour trait à cette description. Je l’ai aimée, autant qu’il était en mon pouvoir – ce qui représente beaucoup d’amour. Cet amour fut gaspillé en pure perte, je le sais maintenant : j’aurais mieux fait de me casser les deux bras.

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Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte, Ed. Maurice Nadeau, 1994.
Egon Schiele, La jeune fille et la mort, Österreichische Galerie Belvedere, Vienne, 1915

25 juin 2008

Regrets ?


Je regrette rarement d’avoir agi, et systématiquement de ne pas l’avoir fait. Je repense à la douleur des histoires qui n’eurent pas lieu. L’autoroute m’ennuie, il n’y a pas de vie sur les bords. Sur l’autoroute, les bords sont trop loin pour que mon imagination leur donne vie. Je ne vois pas ce qui me manque. J’ai moins envie de changer les choses que la perception que j’en ai. J’aime les rencontres de voyage : brèves et sans conséquences, elles ont l’enthousiasme des commencements, et la tristesse des séparations.


Edouard Levé, Autoportrait, P.O.L, 2005.
Photo Laurent Freyss