04 avril 2007

La différence



Nos vies sont différentes, nos amis aussi. La plupart des miens s'adonnent à des activités artistiques, et s'ils n'écrivent pas de livres ou ne réalisent pas de films, s'ils travaillent par exemple dans l'édition, cela veut dire qu'ils dirigent une maison d'édition. Là où je suis, moi, copain avec le patron, elle l'est avec la standardiste. Elle fait partie, et ses amis comme elle, de la population qui prend chaque matin le métro pour aller au bureau, qui a une carte orange, des tickets-restaurant, qui envoie des cv et qui pose des congés. Je l'aime, mais je n'aime pas ses amis, je ne suis pas à l'aise dans son monde, qui est celui du salariat modeste, des gens qui disent "sur Paris" et qui partent à Marrakech avec le comité d'entreprise. J'ai bien conscience que ces jugements me jugent, et qu'ils tracent de moi un portrait déplaisant. Je ne suis pas seulement ce petit bonhomme sec, sans générosité. Je peux être ouvert aux autres, mais de plus en plus souvent je me braque, et elle m'en veut.

C'est Emmanuel Carrère qui écrit, dans Un Roman russe, ces lignes saisissantes. Bien sûr, il ne me les écrit pas à moi, pourtant, la force de son mépris s'abat sur moi, avec d'autant plus de violence que je le sens sincère : cet homme ne simule pas. Ainsi, l'auteur que j'admire les plus au monde est confit de mépris pour ma caste - enfin, ma caste : on n'appartient jamais qu'à celle qu'on veut bien reconnaître pour sienne.
Je ne monte jamais sur Paris, mais seulement parce que j'y habite ; je n'ai pas de tickets-restaurant, mais seulement parce que l'entreprise que j'honore de ma présence nous pourvoie d'une cantine, tout ce qu'il y a de plus modeste. Pour le reste, il suffit de faire un copier coller: je ne dirige pas une maison d'édition, j'y bricole des romans érotiques. Je pose des congés, envoie des CV, et pars à Marrakech pour l'Ascension (toujours pour l'Ascension, les voyages du comité d'entreprise, il aurait pu le rajouter).
Ainsi, chacun des traits que Carrère relève impitoyablement fait mouche, pourtant cela ne réussit pas à me verser à la caste des intouchables, comme on verserait une pièce au dossier.
Et puis, dans le roman, il l'aime, Carrère, sa différente. D'une passion sans commune mesure avec le bonheur insipide qu'il ressent pour sa pareille, à la fin. C'est pourquoi, cher Philippe, je ne peux que t'espérer différent. Peut-être pas de la caste de ceux qui se perdent d'orgueil, mais de celle des vrais seigneurs, sûrement.

A toi pour toujours,

Valentine

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour Valentine,
"Amoureux" de Phillipe Collin, je le suis également. Tout autant que des personnages de "six feet under" ou du héros du "combat ordinaire"... Mais étant un homme, je ne peux nourrir l'ambition d'être un jour "Mme Collin"... Je te souhaite donc beaucoup de réussite dans ton entreprise, quant à moi, je me contenteria (et c'est déjà beaucoup), de sa "panique dominicale" !
Très joli blog, bravo.
Sam

Anonyme a dit…

méprisant et surtout super malhonnête intellectuellement parce qu'avec son air d'effarouché, il se sauve quand même bien comme il faut. le vocabulaire employé (petit bonhomme, oh c'est mignon) (déplaisant, ouh que c'est frileux, alors que le vrai terme c'est connard infatué). bref cette façon de faire le place instantanément dans la caste des cloportes qui se sentent tellement mieux en se disant "ouh ça fait du bien d'être hors de ce monde de beauf". mais il n'a même pas le cynisme desespéré d'assumer ce côté misérable et inhumain. pas de couilles c'est tout.comment ça je suis énervée ? non mais quand même !
je m'avance valentine mais je suis certaine que votre merveilleux phililppe collin n'a rien de commun avec ce misérable.

Valentine a dit…

Chère Sandra, quelle violence... J'ai pensé comme vous, sauf que ça me sautait au visage après des pages et des pages où je retrouvais le monde que seul Carrère sait décrire - et pour vous lire régulièrement, je suis presque sûre que vous y trouveriez aussi une grande sidération. Alors j'ai continué la lecture, et vraiment, j'ai l'impression qu'il déballe ses sentiments misérables avec beaucoup de couilles, il en fallait pour écrire tout ce qui suit. Je crois. A moins que mon envie de le "sauver" ait été plus forte, possible aussi.
Je suis sûre pour le coup que le sieur Collin n'a effectivement pas grand chose en commun avec ce misérable, comme vous dites. En revanche, je ne suis pas tout à fait sûre que ce soit une bonne chose, mais c'est un autre débat.
En tout cas, si jamais je vous convainc de donner une chance aux lignes du misérable, j'aimerais bien votre avis.

Valentine

Valentine a dit…

Et merci, Sam, de tes mots : ça prouve bien que Philippe Collin est décidémment très amourable (adj., du n.m. amour, circa 2007 : qui sait susciter le sentiment amoureux)

Anonyme a dit…

Salut Valentine,
Si tu n'as pas entendu la leçon de mauvais garçon de Phil écoute la réaction de Jean Clair, je pense que Phil a dû se sentir bien petit dans sa chaise. Entre suis-je vraiment allé trop loin? ou est-ce vraiment possible d'être imperméable à mon humour?! On avait eu de petits prémices avec Luchini! Moi aussi j'ai du mal avec les susceptibles! Hé les mecs! L'autodérision c bon pour le moral!! Alors souriez vous êtes filmés!
Val.. pour Valérie