06 janvier 2007

Sacré corps

Cher Philippe,


Quelle ne fut pas ma surprise en achetant aujourd'hui Le Protocole compassionnel de découvrir sur la couverture une version d'une jeune créature éplorée radicalement différente de celle que je connaissais, et dont je m'étais d'ailleurs servie pour t'exprimer mes voeux pieux
Aussi ai-je eu envie de les juxtaposer afin qu'on mesure toute la distance et tout le sens apportés par le noir et blanc, et surtout par l'angle de vue de la photo. La première est une banale scène tirée du grand martyrologue chrétien - enfin c'est du moins ce que le titre nous invite à y voir, lui qui nous précise que cette créature éplorée est un certain saint Tarcise. Saint peu connu du panthéon, avouons-le, a fortiori sous la forme "Tarcise". En revanche, on en sait un peu plus sur Tarcisius, martyr adolescent du IIIème siècle, qui préféra mourir plutôt que de livrer aux hordes impies qui l'attaquaient la sainte hostie qu'on lui avait confiée. Ce qui se cache entre ces mains si jointes, ce serait donc une hostie. Sauf que dans le passage à la photo, cette scène sulpicienne et lacrymale prend une toute autre dimension. On n'y devine plus le corps du Christ caché entre ces mains, et on n'y voit plus que l'ultime offrande d'un corps adolescent, mortel et moribond, qui se délite en même temps qu'il séduit encore. Sans doute ce qui en a séduit d'autres avant lui, qui tirèrent cet obscur saint des limbes de la mémoire pour en faire le modèle des corps aimés, trop aimés, dont on ne se détache que dans la douleur. Et si tu ne me crois pas, va donc voir ce qu'un Falguière en fit, lui dont les statues du saint sont d'une sensualité assez déroutante.


Il ne me reste donc plus qu'à plonger dans le texte de Guibert pour comprendre si le choix des éditeurs de reproduire la peinture d'origine plutôt que l'interprétation photographique était légitime, ou si, comme j'en ai l'intuition, la convocation de ce modèle chrétien est une grossière erreur iconographique...
D'autres que moi s'en sont d'ailleurs émus avant moi, notamment El ogro terco

A toi pour toujours,


Valentine

Hervé Guibert, Le Protocole compassionnel, Folio.




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